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Histoire vécue
Après 42 ans de mariage, Sylvie Côté a redécouvert l’amour sur les réseaux sociaux lorsqu’elle a rencontré Richard, un homme séduisant, charmeur, bienveillant et… fabriqué de toutes pièces. Prise dans un piège financier, la sexagénaire a fini par tout perdre, même sa vie.

L’histoire qui suit vous paraîtra peut-être saugrenue. Vous vous direz sans doute : « Moi, je ne tomberai jamais dans un tel piège. » Mais détrompez-vous : personne n’est réellement à l’abri. Le broutage, nom donné à cette stratégie où l’arnaqueur tisse lentement sa toile autour de sa victime, est une mécanique bien huilée qui fait chaque année des milliers de victimes à travers l’Occident.
Ces malfaiteurs, généralement établis en Afrique de l’Ouest ou en Asie du Sud-Est, déploient une panoplie de stratégies pour vous faire croire au grand amour. Pour bien des victimes de broutage, lorsqu’elles réalisent avoir été dupées, il est déjà trop tard.
Sylvie Côté fait partie du lot. Récemment divorcée, cette résidente de Granby est abordée par un certain Richard sur Facebook Rencontres. L’homme affirme habiter à Saint-Jean-sur-Richelieu, mais se trouve actuellement à l’étranger pour un voyage d’affaires. Leur relation reste épistolaire, mais la dame de 68 ans tombe néanmoins rapidement amoureuse.
« Tout ce que mon père ne lui avait jamais dit, parce qu’il était d’une autre génération, Richard le lui disait : « Tu es belle », « Tu es capable », « Tu es forte »… Elle est tombée dans le panneau tout de suite », raconte sa fille Sophie Lacroix, en entrevue avec Virage.
Pourtant, « il n’y avait aucune chance que ce soit un vrai compte », poursuit celle qui a flairé tout de suite le pot aux roses en voyant la photo et le profil de Richard.
DE « MALCHANCE » EN « MALCHANCE »
Tout aussi rapidement que la flamme s’est attisée entre la Granbyenne et son correspondant, les « malchances » de ce dernier ont commencé.
« Un jour, ma mère m’a appelée pendant que j’étais au travail pour me demander comment acheter un billet d’avion en ligne, raconte Sophie Lacroix. Je ne comprenais pas pourquoi, et comme je n’étais pas disponible pour l’aider immédiatement, elle m’a dit qu’elle allait s’arranger. »
Richard se trouvait alors au Brésil et avait « perdu » son billet d’avion. Il a demandé à Mme Côté de lui envoyer l’argent nécessaire pour en acheter un autre.
« Une autre fois, il avait perdu son passeport. Ensuite, il a été hospitalisé et avait besoin d’aide pour payer ses frais médicaux, relate Mme Lacroix. Il était tout le temps mal pris et demandait à ma mère de le dépanner en lui promettant de la rembourser. »
« Et ma mère, avec son grand cœur, n’arrivait pas à voir le mal chez quelqu’un d’autre. Pour elle, c’était impensable de laisser quelqu’un dans le pétrin », renchérit-elle.
Éventuellement, Richard est « décédé ». Des proches de l’homme ont envoyé un faux testament à Mme Côté, désignée comme héritière. « Pourtant, même la notaire de la caisse et moi tentions de lui démontrer qu’il s’agissait d’un faux, mais elle refusait de nous croire, témoigne Sophie Lacroix. Elle était complètement endoctrinée. »
Richard est ensuite « revenu d’entre les morts » pour finalement se retrouver en prison, en Malaisie. Pour l’aider, il a demandé à Sylvie Côté de lui envoyer 5000 $ par jour sous forme de cartes-cadeaux variées. Un rythme insoutenable, qui a mené la femme à se départir de sa résidence et à verser les fruits de la vente à son brouteur, qui lui promettait sans cesse qu’ils seraient un jour réunis.
UN STRATÈGE BIEN ORGANISÉ
« C’est comme s’il [Richard] avait trois coups d’avance sur nous : il savait ce qu’on allait dire à ma mère, ce que la conseillère financière allait lui dire, et il lui soufflait exactement ce qu’elle devait répondre pour obtenir ce qu’il voulait », déplore Sophie Lacroix.
« Il avait une équipe : lui, sa sœur, sa nièce, un ami, un comptable… Chaque fois que j’essayais de la sortir de là, ils l’attiraient un peu plus vers le fond, et c’est moi qui passait pour la méchante. Ce n’était plus ma mère », ajoute-t-elle.
Ce constat n’a rien de surprenant pour Alvin, un résident de la Côte-d’Ivoire qui a été brouteur pendant quelques années avant de se repentir.
« On trouve les faiblesses de la personne, on lui dit ce qu’elle veut entendre et on fait tout pour la convaincre que c’est vrai », raconte-t-il.
Pour gagner en crédibilité, les brouteurs utilisent des vidéos et des images publiées par de véritables personnes, qui ignorent tout de cette usurpation.
« Ensuite, ils découpent la vidéo en petites séquences : elle se passe la main dans les cheveux, elle se gratte le nez… Comme ça, lorsqu’on leur demande une preuve, ils n’ont qu’à faire jouer la bonne séquence. »
UN SENTIMENT DE HONTE ET DE DÉTRESSE
Après avoir envoyé près de 800 000 $ à Richard, Sylvie Côté s’est rendu compte qu’il ne lui restait plus de quoi vivre bien longtemps avant de devoir recourir à l’aide sociale. Financièrement ruinée, elle a commis l’irréparable en mars 2024. Elle avait 71 ans.
Beaucoup d’histoires de broutage connaissent une fin tragique comme celle-ci. En avril dernier, plusieurs médias québécois ont fait état d’au moins 25 personnes qui se sont enlevé la vie après avoir été victimes d’une arnaque amoureuse au cours des dix dernières années.
« Malheureusement, [l’arnaque sentimentale] est un phénomène grandissant dans notre société, suscitant un sentiment de détresse et de honte chez les victimes », écrivait récemment la coroner Me Nathalie Lefebvre, dans la foulée du suicide d’un homme de 67 ans.
Dans son rapport d’investigation, la coroner souligne l’importance de la prévention, recommandant aux sites de rencontres et autres réseaux sociaux d’avertir leurs utilisateurs et utilisatrices quant aux risques liés aux arnaques amoureuses, de les sensibiliser aux effets potentiellement dévastateurs de ces escroqueries et de les inciter à demander de l’aide.
En 2023, le Centre antifraude du Canada (CFAC) a géré 1135 plaintes liées à ce type d’arnaque, dont les pertes cumulées par les victimes totalisaient 50,3 M$. Cela vous semble énorme ? En fait, ils ne seraient qu’un pâle reflet de la réalité, car moins de 5 % des victimes font appel aux autorités. La honte et la culpabilité expliquent partiellement ce faible taux.
POUR QUE SA MORT NE SOIT PAS VAINE
À la suite du décès de sa mère, Sophie Lacroix a retrouvé des copies imprimées de tous les messages échangés entre elle et Richard au cours des trois dernières années. Le dossier a ensuite été transmis à Interpol.
Depuis, la Granbyenne attend toujours des nouvelles, mais elle garde espoir.
« Je me suis sentie tellement seule et démunie dans cette histoire-là. Je ne voudrais pas que quelqu’un d’autre vive la même chose, confie-t-elle. Si je peux aider ne serait-ce qu’une personne, une famille, au moins, ma mère ne sera pas morte en vain.
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Si vous pensez au suicide ou si vous ressentez de l’inquiétude pour un proche, composez le numéro sans frais 1 866 APPELLE (277-3553). Vous pouvez obtenir de l’aide psychologique 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.
VOUS ÊTES VICTIME ? QUE FAIRE ?
Si vous croyez être victime d’une arnaque amoureuse, ou si c’est le cas pour l’un de vos proches, il est important de réagir rapidement et de dénoncer la situation.
La FADOQ, en collaboration avec la Sûreté du Québec et le CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal, offre le programme Aîné-Avisé. Celui-ci propose des séances d’information portant sur la fraude envers les personnes aînées. Pour en savoir plus : aineavise.ca.
Source : Marie-Ève Martel, Revue Virage, FADOQ, automne 2025, p26, photo Alain Dion