Un pan de notre histoire : Les ravages de la poliomyélite au Canada

Histoire

Les autorités sanitaires palestiniennes ont détecté cet été des échantillons de poliovirus dans les eaux usées des villes de Khan Younes et de Deir al-Balah, au centre de l’enclave côtière de Gaza. Le vendredi 16 août, on annonçait un premier cas de polio, un bébé de 10 mois. Évidemment, depuis le début du conflit militaire, la vaccination est arrêtée sur le territoire et l’on constate une dégradation des conditions d’hygiène, ce qui favorise la circulation du virus.

Cette nouvelle d’actualité nous rappelle la triste épidémie de poliomyélite qui a fait rage au pays dans la première moitié du siècle dernier.

UNE ÉPIDÉMIE AU CANADA

Le 14 septembre 1946, le quotidien Le Canada titrait en première page « Mesures insuffisantes contre la polio […] ».

Cet automne-là, l’hôpital Sainte-Justine déborde de petits patients infectés par le virus de la poliomyélite. Les Montréalais s’insurgent de la mollesse de l’administration municipale pour combattre une des pires épidémies de paralysie infantile de l’histoire.

La Chambre de commerce des jeunes demande de créer sur le champs des hôpitaux temporaires pour accueillir les petits malades.

Les hôpitaux débordent, les enfants souffrant de poliomyélite sont entassés (ou « parqués » comme dirait un des observateurs qui témoigne dans le journal, M. Jules Trudeau) dans des salles, des corridors et même dans des cages d’escaliers. Partout où les patients sont massés, l’atmosphère est quasi irrespirable, les pleurs et les cris sont difficiles à supporter même pour les plus endurcis.

Les garde-malades ont beau se démener dans tous les sens, il manque d’espace. Comme quoi la capacité de nos hôpitaux à répondre aux crises épidémiques ne date pas d’hier.

Outre le découragement des médecins, certains affirment que la guérison est beaucoup plus lente qu’ils le pensaient, voire presque impossible, dans de telles conditions.

On sait aujourd’hui que le virus se transmet par les selles ou les sécrétions, que la majorité des gens infectés ne développent que peu de symptômes. Cependant, si le virus attaque les cellules nerveuses contrôlant les muscles, la maladie provoque des paralysies et si les voies respiratoires sont touchées, c’est souvent la mort.

En 1946, le Québec, encore ignorant de ces futures découvertes, traverse la plus sérieuse épidémie de polio de son histoire.

LA PETITE HISTOIRE DE LA POLIO

Certains dessins de l’Égypte ancienne ou descriptions de médecins comme Hippocrate laissent à penser que la poliomyélite existait déjà à l’antiquité. Il faut pourtant attendre au 18e siècle pour lire une première description scientifique de la maladie.

On l’appelait à l’époque la maladie de Heine-Medin, mais aussi la paralysie infantile, parce que le virus affectait surtout les moins de 5 ans. Par contre, plus la maladie était contractée tôt dans la vie, moins les conséquences étaient importantes et l’infection immunisait la victime de façon permanente.

Ironiquement, l’amélioration de la salubrité des villes au début du 20e siècle a diminué les risques d’exposition au virus, mais a également réduit les chances de gagner l’immunité naturelle.

C’est en 1910 qu’un premier cas de polio est recensé officiellement au Canada. Les cas se sont multipliés par la suite. De nombreux malades ont gardé des séquelles sévères comme des déformations physiques ou une paralysie motrice permanente; d’autres n’ont pas survécu.

Le virus de la polio a certes affecté surtout les enfants, mais il n’a pas touché que les plus jeunes. Franklin Delano Roosevelt, qui est devenu plus tard président des États-Unis, a contracté la maladie à l’âge de 39 ans. Il en a gardé une paralysie du bas du corps.

ARMES POUR COMBATTRE LE VIRUS

Les médecins de l’époque essaient toutes sortes de traitement pour combattre le virus. Ils tentent des traitements par courant électrique dans l’anus, des lavements à la caféine et même des applications de la bonne vieille mouche de moutarde pour soigner l’infection, mais rien n’y fait.

On ira même jusqu’à asperger d’immenses quantités d’insecticides dans les villes pour tuer le virus. Après tout, si ces produits chimiques tuent les insectes, ils affecteront sûrement le virus. Mais rien ne fonctionne, le bon vieux lavage des mains reste encore la meilleure stratégie pour limiter la propagation.

En 1927, des chercheurs de la Harvard Medical School proposent une machine pour sauver les malades dont les muscles respiratoires sont touchés. Ils créent un premier ventilateur respiratoire électrique, qu’on appellera le poumon d’acier, pour faire respirer les patients les plus affectés.

D’ailleurs, le Canada en commandera des milliers. On réalise aussi que les malades sont soulagés quand ils sont immergés dans des courants d’eau chaude (température de 34 degrés).

La première tentative d’un vaccin contre la polio date de 1935. Au début des années 1950, des chercheurs américains vont réussir à cultiver le virus à partir de tissus humains, ce qui permet à Jonas Salk de développer un premier vaccin en 1952. Ce vaccin, qui utilise une souche inactivée du virus, est officialisé en 1955 après avoir été testé sur plus de deux millions de jeunes Américains.

Deux ans plus tard, un deuxième vaccin contre la polio vient s’ajouter à l’arsenal pour combattre la maladie. Ce vaccin du chercheur Albert Sabin est administré par voie orale, il est efficace, peu coûteux et surtout plus facile à administrer.

Au Canada, c’est en 1953 que la polio fait le plus de victimes. Les campagnes de vaccination massives vont d’ailleurs commencer au pays cette année-là. Après des décennies de combats par la santé publique, la maladie sera complètement éradiquée en 1994 au Canada.

Aujourd’hui, la polio fait encore des victimes dans des pays comme l’Afghanistan, le Pakistan, le Yémen et le Nigéria.

Source : Martin Landry, historien, Journal de Montréal, cahier Weekend, 7 septembre 2023, p82


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