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Histoire
Il n’y a pas si longtemps, chaque fois qu’on allait dans des endroits publics, de retour à la maison, nos vêtements sentaient la vieille odeur de cigarette.
Même si on ne fumait pas, on se faisait emboucaner à l’épicerie, au restaurant, au centre commercial, au cégep, à l’hôpital et évidemment dans les bars. Les plus jeunes ne peuvent se l’imaginer, mais souvent, on devait accrocher nos vêtements à l’extérieur pour éliminer l’odeur du tabac.
Mais d’où vient cette habitude de s’enfumer les poumons ?
LE TABAC D’AMÉRIQUE

Déjà mille ans avant notre ère, fumer faisait partie intégrante des rites de la civilisation maya. On a retrouvé des centaines de dessins de prêtres et de dieux en train de fumer, mais aussi des artéfacts de pipes qui témoignent de cette pratique ancienne en Amérique.
Le tabac vient d’une plante bien robuste qui poussait facilement à l’état sauvage en Amérique. Une plante voisine de la tomate et de la pomme de terre inconnue des Européens. Les Mayas puis les Aztèques maîtrisaient l’art d’enrouler de grandes feuilles de tabac autour d’un roseau, l’ancêtre de nos cigares en quelque sorte.
Pour ces civilisations, le tabac était sacré, on réservait son usage aux chamans et on fumait principalement lors des cérémonies. Le tabac était aussi reconnu pour ses vertus thérapeutiques, on l’utilisait en médecine comme tonique ou analgésique.
En 1492, Christophe Colomb, de retour des Antilles, rapporte en Europe toutes sortes de produits exotiques inconnus des Espagnols, dont les fameuses feuilles de tabac.
Mais Colomb a peu d’influence sur la suite des choses. On pense que c’est plutôt le moine André Thévet qui est le premier à avoir eu l’idée d’importer sur le Vieux Continent des graines de tabac vers le milieu du 16e siècle.
À partir de ce moment-là, la plante sera cultivée dans l’ouest de l’Europe, mais elle sert surtout de décoration. Quelques années plus tard, l’ambassadeur de France à Lisbonne, Jean Nicot, découvre que la plante du tabac a des vertus médicinales. Il fait envoyer des feuilles de tabac à sa reine, en France, pour soigner ses souffrances persistantes.
Catherine de Médicis est affligée depuis de nombreuses années par de terribles migraines et rien ne semble pouvoir la soulager. Le traitement au tabac est un succès, il n’en fallait pas plus pour que la cour s’empare du produit exotique et l’adopte.
Au départ, on fume pour soigner toutes sortes de maux comme l’asthme ou les problèmes circulatoires, mais rapidement les plus fortunés de ce monde l’utilisent pour le plaisir.
« Le tabac est divin, il n’est rien qui l’égale. C’est dans la médecine un remède nouveau, il purge, réjouit, conforte le cerveau, de toutes noires humeurs promptement le délivre, et qui rit sans tabac n’est pas digne de vivre », disait Molière.
Jean Nicot passera pour un génie, certains appelleront cette plante « herbe à Nicot ». On pouvait généralement se la procurer chez l’apothicaire.
Cependant, les premiers colons français qui quittent la mère patrie pour le Nouvelle-France ne fument sans doute pas pour le simple plaisir. Ils découvrent plutôt le tabac à fumer, ainsi que des centaines d’autres produits, en côtoyant les Premières Nations.
Le tabac, comme la culture des « trois sœurs » (maïs, haricots et courges), les pommes de terre et les tomates, étaient l’une des principales plantes cultivées par les Autochtones d’Amérique du Nord. Mais, s’ils veulent fumer, les colons canadiens devront pendant longtemps cultiver eux-mêmes leur tabac et le faire sécher au grand air.
On connaît deux variétés de tabac indigènes sur le territoire. On les baptise le « Petit Canadien » et le « Rose Quesnel ».
LA CIGARETTE, UNE INVENTION PROFITABLE
Il faut attendre 1830 pour que la cigarette comme on la connaît soit inventée. Puis 13 ans de plus pour qu’on invente une machine pour les fabriquer en série. Cette industrialisation fait évidemment baisser le prix du produit et le rend accessible à toutes les classes sociales.
Même si on fume de plus en plus au tournant du 20e siècle, les deux guerres mondiales seront des terreaux fertiles pour les cigarettiers. Pour combler l’ennui des soldats au front, on va les approvisionner gratuitement en cigarettes. Évidemment, à leur retour au pays, la majorité de ces jeunes hommes sont devenus dépendants au tabac. Au lendemain du second conflit, on pense que 80 % d’entre eux se sont mis à acheter des paquets de cigarettes.
Dans les années 1950, les cigarettier font beaucoup de profits. Ils investissent en recherche marketing pour gagner toujours plus d’adeptes. Ils mettent en place de redoutables et sournoises stratégies pour attirer davantage de consommateurs. On réfléchit à la couleur de l’emballage et au format des paquets, au logo, et on crée des publicités ciblées.
On charme de plus en plus de nouveaux fumeurs en jouant avec l’image associée à chaque marque. Malboro met de l’avant des hommes robustes, prêts pour l’aventure. Player’s présente souvent des sportifs, des gens déterminés. Du Maurier met en scène des gens bien habillés qui ont de la classe et du succès.
Pour rassurer les fumeurs inquiets des méfaits du tabac sur la santé, l’industrie crée un filtre pour les cigarettes en disant qu’il atténue la fumée et réduit la quantité de substances chimiques aspirée par le fumeur.
Après avoir conquis les hommes, les grandes compagnies de tabac vont viser la clientèle féminine. Certaines recherches tentent de démontrer que les femmes développent une dépendance plus rapidement à la nicotine et qu’elles répondent moins bien aux traitements pour arrêter de fumer. De plus, elles ont une meilleure espérance de vie, donc elle sont susceptibles de fumer un peu plus longtemps que les hommes. Eurêka !
Évidemment, depuis quelques années, le législateur s’est attaqué au commerce du tabac. Interdiction de faire de la pub à la télé, à la radio, dans les journaux, dans les festivals, dans les activités sportives, etc.
Nos gouvernements ont légiféré, souvent avec succès, pour freiner cette croissance et même faire baisser le nombre de consommateurs. Malgré tout, les cigarettiers trouvent toujours une façon d’entrer dans nos vies, par le cinéma par exemple.
Des statistiques de 2011-2012 révélaient que près de trois films hollywoodiens sur quatre présentaient des fumeurs à l’écran. Ces films recrutent 6,4 millions de nouveaux adeptes mineurs aux États-Unis chaque année.
Jusqu’en 2010, ce sont des chiffres comparables pour notre cinéma québécois. Heureusement, ces statistiques sont en décroissance depuis 15 ans. Le plus fou, c’est que dans ces programmes-là, les personnages les plus riches ou ceux qui attirent le plus l’attention sont trois fois plus nombreux à fumer que dans la réalité
Source : Martin Landry, historien, Journal de Montréal, cahier Weekend, 14 septembre 2024, p70