Un pan de notre histoire : Jacques Viger, l’intellectuel touche-à-tout devenu le premier maire de Montréal

Histoire

Même si on a fondé la ville sous le nom de Ville-Marie, le nom de Montréal s’est imposé rapidement.

Toutefois, il a fallu attendre presque 200 ans après sa fondation par Jeanne Mance et Maisonneuve pour que la cité devienne une vraie ville. Puis, quand est venu le moment d’élire un premier maire, C’est Jacques Viger qu’on a choisi. Le connaissez-vous, Jacques Viger ?

AVANT DE DEVENIR MAIRE

Jacques Viger naît à Montréal le 7 mai 1787. Son parrain n’est nul autre que Joseph Papineau, père du fameux tribun. Il grandit dans une famille bourgeoise de Montréal et fait ses études classiques au Collège Saint-Raphaël qui a pignon sur rue dans l’ancien Château Vaudreuil.

À la fin de ses études, Viger s’installe à Québec et y déniche un premier emploi de rédacteur pour le journal Le Canadien (1808-1809). Il est politisé dès son jeune âge. D’ailleurs, de nombreuses personnes de son entourage occupent des fonctions des plus influentes.

On n’a qu’à penser à Denis-Benjamin Viger, à Louis-Joseph Papineau ou au controversé évêque Jean-Jacques Lartigue. En fait, Jacques Viger restera toute sa vie en relation avec eux. Il sera en quelque sorte leurs yeux et leurs oreilles à Montréal.

SERVICE PUBLIC

Après ce séjour à Québec, il revient à Montréal en 1809. Intéressé par les néologismes, il rédige un recueil des néologismes de son époque. Cette publication, Néologie canadienne ou Dictionnaire des mots créés en Canada et maintenant en vogue, est encore fort utile pour découvrir le vocabulaire des gens du début du 19e siècle.

Viger est un intellectuel touche-à-tout, il s’intéresse autant à la littérature qu’aux affaires publiques. En 1812, il s’enrôle dans la milice et va au front pour défendre le Canada contre l’envahisseur américain qui menace nos frontières.

À son retour à la vie civile en 1813, il est nommé inspecteur des grands chemins, rues, ruelles et ponts de Montréal. Il faut savoir, en ce début de 19e siècle, que Montréal et Québec sont administrées par des juges de paix et non par des élus.

Ces fonctionnaires n’ont pas beaucoup de pouvoir, cependant celui qui en a le plus, c’est l’inspecteur des grands chemins, rues, ruelles et ponts. Viger prendra au sérieux sa responsabilité d’améliorer les routes et de les payer.

Il fera exécuter d’importants travaux de drainage dans les faubourgs qui ceinturent l’extérieur des vieilles fortifications de la ville pour maximiser le lotissement, mais aussi pour assainir l’hygiène urbaine.

Le nez fourré partout, il négocie les pierres pour le pavage, fait les ententes avec les entrepreneurs et rédige lui-même les contrats avec les fournisseurs. Et comme s’il n’en avait pas assez sur les bras, il fait également des plans d’urbanistes et s’occupe de l’application de plusieurs règles policières.

Il rédige régulièrement d’importants rapports qui servent à orienter les politiques publiques élaborées par l’Assemblée législative du Bas-Canada. Il monte également des registres des rues de Montréal, un premier en 1817, puis un autre en 1837.

En 1825 il est aussi nommé commissaire du recensement pour le comté de Montréal. Il désire tant connaître sa population qu’il ajoute au formulaire de recensement des questions de son cru.

Les réponses font de cet exercice une source de renseignements précieuse pour les administrateurs de l’époque, mais également pour les historiens qui étudient l’évolution de Montréal.

MONTRÉAL DEVIENT UNE VILLE

La métropole gagne une vraie charte municipale le 5 juin 1832 et Jacques Viger deviendra son premier maire. Depuis la conquête britannique, un conseil dirigé à partir de Québec a la main sur à peu près tout, autant pour fixer les règles publiques, le montant des taxes que le prix du pain.

Les premières élections municipales de Montréal se déroulent en juin 1833. Les électeurs désignent seize conseillers municipaux.

À cette époque, le territoire de Montréal est divisé en huit quartiers, deux pour la vieille ville et six pour les faubourgs autour des fortifications, soit Sainte-Anne, Saint-Joseph, Saint-Antoine, Saint-Laurent, Saint-Louis et Sainte-Marie.

Ces secteurs sont représentés par deux conseillers qui ont des mandats de deux ans, mais il est prévu que la moitié des membres du conseil soient renouvelées chaque année. Ces élus sont tous des gens d’affaires ou des professionnels.

Lors des élections de 1833, neuf anglophones et sept francophones seront élus. Dans ces années-là, on réservait encore le droit de voter aux hommes de plus de 21 ans qui étaient propriétaires depuis au minimum un an.

Ils n’étaient pas si nombreux, en fait ça ne représentait qu’un Montréalais sur cinq. Quant au maire, il n’était pas encore élu par la population, il était choisi par et parmi les conseillers élus. En 1833, ces élus municipaux n’avaient aucun salaire pour occuper leur fonction.

Le pire, c’est que s’ils gagnaient le vote populaire, ils n’avaient pas le droit de se désister sous peine de devoir payer une amende plutôt salée de 25 livres.

Jacques Viger, le fonctionnaire le plus dynamique de la ville, ne se désistera pas de sa tâche. Il arrive en poste à un moment où les tensions politiques s’enveniment entre le parti patriote, le gouverneur Aylmer et sa petite clique anglo-saxonne malveillante envers les francophones. C’est aussi une année où Montréal est foudroyée par une terrible épidémie de choléra qui tuera 2000 Montréalais.

La première séance du conseil de Montréalaise tiendra finalement le 5 juin 1833 dans le palais de justice.

Viger et le conseil municipal ont du pain sur la planche. Une des premières tâches qu’ils entreprennent est l’assèchement des marécages au nord de la rue Sainte-Catherine, au pied de la côte de la rue Sherbrooke, parce qu’on les croit responsables de la propagation du choléra.

Le problème c’est que ces travaux sont titanesques et extrêmement dispendieux. La ville manquera rapidement de ressources pour affronter ce type de grand chantier. Elle détournera donc un maximum d’argent pour les effectuer, quitte à négliger l’entretien des rues de la ville.

Après trois ans de gouvernance, à cause des tensions politiques au Bas-Canada, la charte de la municipalité de Montréal qui avait été crée pour une période de trois ans n’est pas renouvelée en 1836. Le gouverneur remet donc en place le pouvoir aux juges de paix. Il faudra attendre 1840, l’année de l’Acte d’Union, pour que Montréal retrouve son autonomie politique.

Viger perd bien sûr son poste de maire. Quatre ans plus tard, quand la nouvelle charte de Montréal est instituée, il est écarté de son poste d’inspecteur des chemins, fort probablement parce que son administration avait négligé l’entretien des rues, mais aussi parce qu’on lui reprochait d’être bien proche des Rebelles patriotes.

Même s’il ne joue pas un rôle actif durant l’insurrection de 1837, il est évident que Viger a été un sympathisant des idées républicaines du parti de Louis-Joseph Papineau. On se rappellera que c’était lui qui avait présidé le premier banquet de la Saint-Jean-Baptiste en 1834,

Ses recherches, son tempérament de conciliateur et surtout son érudition ont fait du premier maire de Montréal un personnage remarquable. Cet archéologue, historien, homme de lettres et archiviste nous a laissé des traces indispensables à la compréhension de son époque.

Source : Martin Landry, historien, Journal de Montréal, cahier weekend, 28 septembre 2024, p74


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