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Histoire
« Les gens du centre-ville ignorent qu’ils marchent sur plus de 50 000 squelettes entre le square Dorchester et la place Victoria », lance en entrevue au Journal Donovan King, un historien amateur qui a fondé une entreprise touristique spécialisée dans les sites « hantés » à Montréal.
Il fait référence au cimetière catholique Saint-Antoine qui a accueilli ses premiers cercueils en 1799 et qui a été fermé en 1855 au moment de l’ouverture du cimetière Notre-Dame-des-Neiges, de l’autre côté du mont Royal. Jusqu’à 70 000 personnes y auraient été inhumées et on avait commencé à transférer les restes humains quand les autorités ont mis fin à l’opération.
« On craignait que le virus du choléra, qui avait fait des ravages en 1832, ne soit réactivé avec l’exhumation des corps », reprend Pierre-Luc Baril, auteur du livre Montréal hanté, qui vient de paraître chez VLB.
« À partir du XVIIIe siècle, la science et la médecine s’intéressent aux enjeux de la salubrité publique. Comment l’aménagement de l’espace urbain peut-il contribuer à réduire la propagation des maladies ? Même six pieds sous terre, la présence des morts au cœur de la ville fait craindre le pire », écrit-il.
CIMETIÈRE DU CHOLÉRA
Dans ce livre, il revient sur les mœurs funéraires des Montréalais, qui ont d’abord enterré leurs morts à proximité des églises paroissiales. Mais la ville devenant de plus en plus populeuse, il a fallu constamment agrandir ces espaces. En 1799, on inaugure le cimetière Saint-Antoine où des tombes héritées de cimetières paroissiaux sont transférées
Le choléra causera une véritable hécatombe à Montréal et l’espace viendra à manquer dès 1849. On surnommera Saint-Antoine le « cimetière du choléra ».
On sait, grâce aux fouilles archéologiques menées sous terre au moment de la restauration du square Dorchester, en 2016, que la mortalité infantile était plus élevée en ville qu’à la campagne au 19e siècle. C’est du moins une des conclusions de la maîtrise en anthropologie d’Emmanuelle Duchemin, déposée à l’Université de Montréal l’an dernier.
Cette mortalité supérieure s’expliquerait par le fait que les épidémies étaient « plus dévastatrices en milieu urbain en raison de la densité de la population et de l’insalubrité ».
DES PATRIOTES DANS LA FOSSE COMMUNE
On ne sait pas précisément combien de « squelettes » seront laissés sur place quand l’opération de transfert est stoppée par les autorités. « On sait que la variole était encore meurtrière et que les fossoyeurs tombaient comme des mouches », ajoute Gilles Laporte, auteur de plusieurs travaux sur l’histoire – il signe notamment la biographie de Ludger Duvernay dans le tome 2 des Figures marquantes de notre histoire.
Si le choléra avait peu de chances d’infecter la population montréalaise après la mort de son porteur, le pathogène de la variole était, lui, beaucoup plus résistant. Aujourd’hui éradiquée, la variole faisait des ravages au 19e siècle et c’est beaucoup plus cette contamination qui était à craindre, d’après M. Laporte.

Celui-ci déplore qu’aucune plaque commémorative permanente ne souligne le contenu du sous-sol dans cette partie très fréquentée du centre-ville de Montréal. Après vérification, seules des croix stylisées insérées dans le pavé uni de briques rappellent le passé sous le square Dorchester, par ailleurs consacré au legs de l’Empire britannique.
Comble d’ironie, c’est ici qu’ont été jetés les corps des patriotes exécutés à la suite des rébellions de 1837 et 1838.
Comme ils avaient été excommuniés par le clergé, ils n’ont pas eu droit à un monument funéraire et ont pris le même chemin que les enfants non baptisés. « On les a enterrés dans la fosse commune », résume M. Laporte.
LE DERNIER VOYAGE DE LUDGER DUVERNAY
L’homme politique, éditeur et militant patriote Ludger Duvernay meurt le 28 novembre 1852 à 53 ans et est enterré dans le cimetière Saint-Antoine de Montréal. Mais ses restes sont transférés trois ans plus tard au tout nouveau cimetière Notre-Dame -des-Neiges. « Cet homme jouit d’une renommée incroyable à l’époque. C’est le Péladeau du 19e siècle », commente Gilles Laporte.
Une procession de 10 000 personnes accompagne le cortège du centre-ville de Montréal jusqu’au mont Royal où on élève un monument en son honneur. Distinct de l’obélisque des patriotes, financé par un bienfaiteur et qu’on peut admirer au même cimetière, mais qui ne contient presque aucun ossement documenté des victimes des exécutions du Pied-du-Courant, le monument de Duvernay est une authentique sépulture catholique.
« Il s’agit de la toute première tombe du nouveau cimetière », souligne M. Laporte qui signe une captivante biographie de Duvernay dans le second tome des Figures marquantes de notre histoire (VLB, 2024).
Celui qu’on associe à la Société Saint-Jean Baptiste de Montréal a eu une vie trépidante. Emprisonné en raison de ses opinions politiques en 1828, 1832, 1836, exilé aux États-Unis de 1837 à 1842, le fondateur du journal La Minerve a relevé le gant dans un duel romanesque en 1836. Dans les formes de l’art, un député passé chez les Britanniques, Clément-Charles Sabrevois de Bleury, l’affronte à l’aube au mont Royal le 5 avril 1836. Blessé à la jambe, Duvernay perd le duel, mais survit.
Source : Mathieu-Robert Sauvé, Journal de Montréal, cahier Weekend, 2 novembre 2024, p70