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Histoire
Il n’y aurait jamais eu de développement industriel au Québec si, au milieu du XIXe siècle, il n’y avait pas eu un bassin important d’humains prêts à travailler pour un salaire de misère.
Il y a eu l’exode rural de Canadiens français qui viennent s’installer dans la grande ville, certes, mais aussi plusieurs vagues de migrants des îles britanniques, tout particulièrement d’Irlande, qui vont débarquer par milliers dans la métropole. Ils étaient si nombreux qu’au tournant des années 1850, ils composaient près de 25 % de la population montréalaise.
Ils évoluaient majoritairement dans le secteur ouvrier, mais une poignée d’entre eux se sont investis corps et âme pour réaliser ce que plusieurs vont rebaptiser la 8e merveille du monde.
Montréal étant une île, la ville se développe autour de son port, qui devient le plus gros au pays et le plus important port céréalier en Amérique.

PONT VICTORIA
De plus, le canal Lachine et le raccordement au réseau ferroviaire d’est en ouest situe Montréal comme un carrefour incontournable du transport en Amérique du Nord.
Seul hic : l’île doit s’ouvrir vers le sud pour assurer sa croissance économique. On convient donc de construire un grand pont pour enjamber le fleuve Saint-Laurent. Le projet est ambitieux et nouveau. Il s’agit de concevoir une infrastructure qui traversera un des plus puissants cours d’eau au monde. Un pont d’une telle ampleur n’a jamais été réalisé ailleurs dans l’Empire britannique.
Le projet est lancé en 1851, les plans sont effectués par l’ingénieur Thomas Keefer. Rapidement, il identifie d’importants défis techniques, dont la force des eaux, le mouvement des glaces et la puissance des crues au printemps sur le fleuve. Malgré tout, la compagnie ferroviaire du Grand Tronc, aidée financièrement par le gouvernement, va de l’avant avec le projet.
Pour arriver à une construction adéquate, les ingénieurs Robert Stephenson, James Hodges et Alexander Ross modifient les plans d’origine. Les travaux sont lancés dès le printemps 1854.
La conception est à l’avant-garde des méthodes d’ingénierie pour l’époque. Le groupe d’ingénieurs choisit de fabriquer un pont tubulaire plutôt qu’à treillis et décide de positionner la structure à partir des berges de Pointe-Saint-Charles jusqu’à Saint-Lambert sur le rive sud.
Afin de réussir ce projet colossal, la compagnie embauche 3000 travailleurs. Imaginez ! Au milieu du XIXe siècle, ce nombre représente 5 % de la population totale de Montréal. Ce sont principalement des hommes mohawks de Kahnawake et des immigrants irlandais, dont quelques enfants de 9 à 15 ans, qui sont employés comme manœuvres.
Pendant cinq ans, entre 1854 et 1859, été comme hiver, ces ouvriers vont affronter les éléments pour ériger l’impressionnante structure métallique de 9000 tonnes.
Les piliers sur lesquels repose la structure sont formés d’immenses blocs de calcaire. On donne à ces piliers une forme pointue pour briser les places de glace venant se fracasser sur le pont pendant la période hivernale.
8e MERVEILLE DU MONDE
L’armature de fer est conçue en Grande-Bretagne, mais elle est assemblée par 1,5 million de rivets, ici, sur les berges du chantier. Pour maximiser la solidité de l’ouvrage, on la segmente en 25 tronçons, ce qui minimise la pression exercée par la puissance de l’eau sur les piliers.
Malgré les mesures de sécurité mises en place pour éviter les accidents mortels, tels que des canots de sauvetage et des bouées, 26 ouvriers vont perdre la vie dans la réalisation de cette merveille ferroviaire.

Le pont Victoria est inauguré en grande pompe à l’été 1860. Le jeune fils de la reine Victoria, le prince de Galles, a traversé l’Atlantique pour la cérémonie. Sa mère est endeuillée par la mort de son époux et sa peine l’empêche de quitter son palais pour voyager.
Partout dans le monde, on parle de ce pont comme une merveille d’ingénierie, certains journaux le présente comme la huitième merveille du monde.
PROUESSE TECHNOLOGIQUE
On ne mesure probablement pas facilement, avec nos yeux du XXIe siècle, l’exploit technique que ces hommes ont réalisé en érigeant le pont Victoria, considéré alors comme le plus long pont ferroviaire au monde.
Une structure complexe réalisée à une époque où les communications sont plutôt rudimentaires (télégraphe), où on ne se déplace pas encore en tramway ou à bicyclette et que l’automobile n’est même pas encore un fantasme pour les ingénieurs.
Ce tour de force d’ingénierie doit être salué, cependant le nom choisi par les impérialistes qui gouvernaient Montréal restera toujours un pied de nez aux plus nationalistes d’entre nous.
Vous comprendrez alors pourquoi la majorité canadienne-française insistera pour donner le nom d’un personnage francophone, quelques années plus tard, lorsqu’on cherchera à baptiser notre deuxième grand pont à Montréal, le pont Jacques-Cartier.
Depuis, le pont a été modifié à de nombreuses reprises pour s’adapter aux changements technologiques (automobiles).

En 1898, la structure tubulaire d’origine est remplacée par un tablier à poutres en treillis.
Ce changement permet l’ajout d’une autre voie de circulation. Dès 1901, une ligne de tramway est mise en service sur le pont, puis en 1927, on élargit la structure pour permettre aux automobilistes de le traverser.
Finalement, en 1958, dans le cadre des travaux d’aménagement de la Voie maritime du Saint-Laurent, une voie de contournement est érigée pour laisser passer les navires sans compromettre la circulation automobile.
Source : Martin Landry, historien, Journal de Montréal, cahier weekend, 9 novembre 2024, p70