Un pan de notre histoire : 170 ans de rites funéraires dans le plus grand cimetière du Canada

Histoire

Jos Montferrand, La Bolduc, Émile Nelligan et Lise Payette y reposent en paix, de même que près d’un million de personnes sous terre, dans des cryptes, des columbariums et des mausolées qui valent jusqu’à 3 millions de dollars.

« Non, je n’ai jamais vu passer de spectres ou de feux follets », dit, sourire en coin, Alain Dussault, directeur des opérations au cimetière Notre-Dame-des-Neiges, qui emploie jusqu’à 100 personnes – un peu moins l’hiver, même si les activités rituelles, comme les enterrements, se poursuivent malgré le gel.

M. Dussault travaille ici depuis 18 ans et adore son emploi, qui l’amène à accompagner les familles en deuil d’un proche. Il voit à la crémation et à la mise en terre ou en columbarium, selon une multitude de rites.

« Ici, on a les sépultures les moins chères et les plus chères de Montréal », mentionne-t-il alors que nous apercevons un mausolée de marbre blanc qui vaut à lui seul 3 millions de dollars.

DES ARBRES ET DES ANGES

« Nous sommes ouverts à toutes les confessions même si, à l’origine, il s’agissait d’un cimetière catholique », précise Michel Issa, directeur général de la fabrique de la paroisse Notre-Dame de Montréal, qui gère à la fois ce cimetière et la basilique Notre-Dame, dans le Vieux-Montréal.

Le cimetière montréalais ouvert il y a 170 ans cette année est à la fois un espace vert, un lieu de recueillement et un musée à ciel ouvert. Comptant 138 hectares (l’équivalent de 194 terrains de football), il est le plus grand du Canada. C’est un lieu patrimonial reconnu par le gouvernement fédéral depuis 1987 qui fait partie depuis 2005 de l’arrondissement historique du Mont-Royal.

« Ça, c’est ma statue préférée », affirme l’architecte Mario Brodeur en montrant une œuvre du sculpteur Alfred Laliberté, Ange aux ailes brisées, qui surplombe un monument funéraire dans la partie la plus élevée du cimetière. Le bronze est en effet saisissant d’émotion : un ange éploré tend la main vers le ciel.

Plus loin, une œuvre contemporaine surprend. La forme humaine faite de fibres métalliques tend les bras des deux côtés du corps; seule le visage et les mains sont réalistes.

M. Brodeur, qui travaille comme consultant pour la fabrique Notre-Dame, a mené une étude, en 2016, sur la valeur artistique des œuvres qu’on retrouve ici. Les 12 types d’ouvrages funéraires (plaques, stèles, piliers, arcs, colonnes, croix, sarcophages, obélisques, etc.) ornent certains des 94 000 monuments et intègrent une multitude de bas-reliefs en métal intégrés aux monuments.

206 ŒUVRES EXCEPTIONNELLES

Avec son équipe, il a classé leur valeur en fonction de plusieurs critères esthétiques et patrimoniaux. Pas moins de 3512 ouvrages ont été classés « importants »; 825, « très importants »; 206 « exceptionnels ». Les plus anciens datent d’avant 1854; il s’agit de restes humains transférés du cimetière Saint-Antoine, dans le centre-ville de Montréal, qu’on a fermé pour des raisons de santé publique.

Les actes de vandalisme qui ont vu disparaître une partie de ce patrimoine par le même genre de ferrailleurs qui ont scié la statue de Gilles Villeneuve à Berthierville récemment semblent être derrière nous, affirment les responsables en poussant un soupir de soulagement.

DES RITUELS QUI CHANGENT

Si les catholiques ont eu l’autorisation papale de disposer de leurs restes par la crémation à partir, en 1965, du concile Vatican II, ils sont longtemps demeurés attachés à l’inhumation.

Les premières urnes renfermant les cendres d’un client ne sont arrivées ici qu’en 1980, mentionne M. Issa. Depuis, l’incinération est devenue, de loin, la préférence des Montréalais. « Environ 70 % des corps sont incinérés aujourd’hui », mentionne M, Dussault.

Une tendance : l’enterrement écologique au pied d’un arbre (érable, chêne ou micocoulier) planté pour l’occasion dans le boisé du Souvenir, appelé à devenir un jour une forêt laurentienne. Les cendres du défunt se mêlent aux racines de l’arbre et se dégradent complètement, sauf pour une pastille nécessaire à l’identification. Déjà 400 personnes ont choisi ce dernier repos.

CI-GISENT HÉROS ET MAFIOSOS

Maurice Richard

« Il y a toujours quelqu’un qui se recueille près de la tombe de Maurice Richard », selon Alain Dussault, directeur des opérations au cimetière Notre-Dame-des-Neiges.

Le héros du Canadien de Montréal (1921-2000) n’est qu’une des illustres personnalités qui reposent au cimetière Notre-Dame-des-Neiges. La tombe toute récente de Brian Mulroney (1939-2024), surmontée d’un drapeau du Canada, impressionne par sa beauté sévère. Celle de Robert Bourassa (1933-1996), plus lumineuse, est faite de deux immenses pierres blanches.

René Angélil

L’enterrement de René Angélil (1942-2016), sur un vaste terrain en pente qui donne sur le chemin de la Côte-des-Neiges, a nécessité la construction en plein hiver d’une estrade pouvant accueillir 250 personnes, à la demande de sa femme, Céline Dion.

Au total, on compte dans ce cimetière 717 « personnages notoires », dont de nombreux premiers ministres et 25 maires de Montréal…

On a aussi accueilli les dépouilles du mafioso Vincent Cotroni (1911-1984) et du tueur Richard Blass (1945-1975)

Source : Mathieu-Robert Sauvé, Journal de Montréal, cahier Weekend, 30 novembre 2024, p71


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