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Conte de Noël
Voici le deuxième conte de Noël de 2024. Spécialement pour les grands au cœur d’enfant…

C’était le branle-bas de combat au paradis. Dieu le Père observait d’un œil distrait ses hordes d’anges astiquer les nuages pour la fête de Noël. On avait nettoyé la crèche, mis de la paille fraîche, brossé le bœuf et l’âne. Dans le studio de musique, les Élus du ciel et la chorale de chérubins répétaient sans cesse. Cette année, on chaterait la Messe en si mineur de Bach. On avait aussi sorti des caves des bouteilles de Châteauneuf-du-Pape d’un rare millésime pour la messe de minuit.
Pourtant, Dieu le Père restait songeur. Il convoqua Jésus-Christ et le Saint-Esprit dans la salle du trône.
– Mon Père, dit Jésus, vous paraissez bien morose pour mon anniversaire. Que se passe-t-il donc ?
Le Père lui rendit une lorgnette.
– Ah, mon Fils ! Regarde sur la terre à travers le trou, ce que les hommes sont en train de faire dans la couche d’ozone. Ne trouves-tu pas qu’ils ont perdu le sens de la fête de Noël ? Ils ne songent qu’à leurs partys de bureau, leurs listes de cadeaux, leurs menus et les décorations de leur maison. C’est à peine si on trouve quelques rares crèches dans les boutiques de Noël. Certains enfants ne te connaissent même pas et ne savent absolument pas pourquoi on fête Noël, te rends-tu compte ? Quant aux cantiques traditionnels, aussi bien dire qu’ils ont disparu ! Le père Noël et ses rennes ont vite remplacé les bergers et leurs moutons. Je pense même que le vieux bonhomme et devenu plus populaire que toi, mon Fils.
Pendant que le Père tirait tristement sur sa barbe, le Saint-Esprit vint se percher sur l’épaule du Christ. Il se balançait et mordillait la chevelure de Jésus tout en écoutant la conversation.
– Vous avez parfaitement raison, Père, dit l’oiseau, il faut faire quelque chose. La terre est dévastée par les guerres, les génocides, le terrorisme et l’écart s’agrandit de plus en plus entre les riches et les pauvres. Les hommes ne cherchent qu’à s’étourdir dans le plaisir et les sensations fortes. Ils ont oublié que, si seulement ils s’aimaient un peu plus les uns les autres, chacun dans leur univers…
L’oiseau ne termina pas sa phrase, mais jetant un regard de connivence au Père, il se mit à chatouiller l’oreille de Jésus-Christ.
– Dis donc, Fils, et si on recommençait Noël ?… Si tu revenais de nouveau sur la terre ?
Le Christ bondit sur sa chaise,
– Quoi ? Ah ! non ! Je n’ai vraiment pas le goût de retourner en bas ! Savez-vous que des terroristes ont remplacé la crucifixion par les bombes ? C’est trop moderne pour moi ! Et puis, où viendrais-je au monde ? Bethléem est en territoire occupé, n’oubliez-pas ! Ils ont déjà bien assez de problèmes dans ce coin-là du monde, je ne veux pas aller y semer la pagaille, hein ? Si je nais aux États-Unis, les Français ne me le pardonneront jamais, les Anglais vont réagir, les Allemands se rallier, les Italiens protester, le Vatican émettre un édit. Tout cela risque d’exciter les terroristes et de déclencher une crise mondiale, rien de plus ! Non… ce n’est pas une bonne idée.
Dieu le Père poussa un soupir et prit une voix convaincante.
– Mais, mon Fils, les hommes ont besoin d’entendre parler d’amour, de toute évidence. Il faut réensemencer des petites graines d’amour dans leurs cœurs, tu le sais bien !
– Justement, les paraboles et les miracles banals, c’est fini tout ça ! Des miracles, les hommes en voient tous les jours avec les nouvelles technologies. En plus, il me faudrait prononcer le discours sur la montagne à la télévision, apprendre les techniques d’Internet, de Facebook, de Twitter, des blogues, me déplacer en avion et en limousine, multiplier plus de vin que de pain… Non, je vous en prie, Père, éloignez-moi de ce calice. Et trouvez autre chose !
Soudain, le Saint-Esprit sauta, tout excité, sur son perchoir d’or.
– Je pense que j’ai une solution. Laissez-moi faire. Vous avez bien dit : répandre des semences d’amour ?
– Oui, oui, faire germer des petites graines dans le cœur des hommes. Les plus beaux arbres du monde n’ont-ils pas commencé par de minuscules semences ?
Aussitôt, le bel oiseau blanc s’envola dans un grand battement d’ailes au-dessus des nuages. Quand il traversa un rayon de soleil, on le vit se dédoubler miraculeusement, puis se multiplier en milliers d’oiseaux blancs qui prirent, chacun, une direction différente au-dessus de la terre.
Cette nuit-là, chacun de ces mystérieux oiseaux resta perché silencieusement au-dessus de la maison d’un écrivain jusqu’au lendemain matin. Puis, à l’aube, tous reprirent tranquillement le chemin du paradis et se fondirent à nouveau en un seul et même oiseau. Le Saint-Esprit revint se percher sur l’épaule de Jésus-Christ et annonça, de sa voix rauque :
– Voilà ! C’est fait !
– Mais, qu’est-ce que tu as fait ?
– Vous verrez bien.
Puis il commença à se lisser les ailes sans plus se préoccuper des deux autres qui le regardaient d’un air sceptique.
Le jour suivant, à la première heure, tous les écrivains ayant reçu sans le savoir la visite d’un oiseau sur leur toit, se levèrent de bon pied. Tous, hommes ou femmes, croyant avoir rêvé, se sentirent étrangement inspirés et écrivirent un conte de Noël rempli d’amour, relatant une bonne action, un geste généreux, un acte de bienveillance. Ignorant qu’ils étaient des centaines, voire des milliers, à accomplir le même geste dans tous les pays du monde, ils s’installèrent à leur ordinateur, puis ils distribuèrent leurs contes un peu partout. Les médias et les journaux, les éducateurs et les politiciens, les chefs d’entreprises et les curés, les parents et même les grands-parents, tous s’en emparèrent et les racontèrent un peu partout dans les maisons.
Nombreux furent les gens qui s’interrogèrent, ébranlés par la beauté des gestes d’amour relatés dans les contes. Ils se mirent à réfléchir sur la vraie signification de la fête de Noël, certains prirent conscience de leur futilité et du manque d’amour dans leur quotidien. La plupart décidèrent de faire un geste concret pour contribuer à former un monde meilleur, rempli d’espoir. Les graines étaient semées…
Quand survint Noël, quelques jours plus tard, on vit un Dieu le Père rayonnant rire dans sa barbe tout en sirotant son vin en compagnie du Fils et du Saint-Esprit.
– Bravo, Esprit, ton idée était géniale ! Rien que cette nuit, j’ai vu des familles se réconcilier, des vieillards visités par des gens qu’ils n’avaient pas vus depuis des années, des sans-abris accueillis par des étrangers, des voisins qui ne s’aimaient pas échanger de bons vœux. J’ai aussi vu un père et un fils se parler enfin, une mère retrouver ses enfants, deux employés qui ne s’entendaient pas s’expliquer et se souhaiter Joyeux Noël en se donnant la main sincèrement. Je suis vraiment content, les graines d’amour vont germer et grandir. Tu as accompli un véritable miracle, mon cher Esprit. Le miracle de Noël.
Dans l’antichambre, on entendit le chœur entonner le Gloria de la messe. Dieu se cala profondément dans son fauteuil, l’air satisfait, et savoura la merveilleuse musique de Jean-Sébastien Bach, à la fois divine et humaine.
– Les hommes sont capables de si grandes choses, quand ils le veulent…
Source : Contes de Noël pour les petits et les grands, de Micheline Duff, Éditions Québec Amérique 2012.