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Conte de Noël
Voici le quatrième conte de Noël de 2024. Spécialement pour les grands au cœur d’enfant…

La coquine ! Elle me gratouillait l’oreille depuis je ne sais combien de temps. Tu parles d’un endroit où se nicher pour une étoile ? Elle ne cessait de me harceler avec ses bourdonnements et ses grésillements à n’en plus finir.
– Que veux-tu, petite étoile ? Pourquoi ne t’en retournes-tu pas chez toi ? D’ailleurs, d’où viens-tu donc ? Ta place n’est sûrement pas dans mon oreille !
Je suis une étoile qui ornait la chevelure d’un ange. Hélas ! par distraction, j’ai lâché prise et suis tombée par terre. Me voilà maintenant perdue. Je n’arrive pas à retrouver mon ange chéri. Veux-tu m’accompagner ?
– Je veux bien, Mais qu’attends-tu de moi au juste ?
– Je n’ai pas envie d’y aller seule et tu pourrais m’aider à chercher mon ange. Prends-moi dans ta main et laisse-moi te transporter et te guider.
C’est ainsi qu’un jour de décembre, je m’en fus dans l’univers à la suite d’une étoile que je tenais à bout de bras. Nous allions à fière allure, elle et moi, portées par le vent, volant au-dessus des montagnes et traversant les lacs, des rivières et même des océans. J’avais beau scruter l’horizon, inspecter les forêts et fouiller chaque repli du paysage, ni ange ni diable ne se présentait à ma vue.
– Ne crois-tu pas, petite étoile, qu’il vaudrait mieux traverser les nuages et se rendre jusqu’à l’Au-delà, dans le grand pays du Paradis, là où habitent les anges ?
– Non ! non ! Retournons plutôt en bas sur la planète. C’est là que se trouvent les anges.
– En bas ? Sur la terre ? C’est là que se trouvent les anges, dis-tu ? Ah ! bon…
Je cherchai donc du regard quelque temple ou musée poussiéreux où se nichaient peut-être un ange de bronze, sans étoile à sa couronne. C’est pourtant dans les faubourgs d’une ville que me mena l’étoile, au fond d’une vieille taverne où trinquaient deux hommes d’affaires attablés devant une bière blonde.
– À la tienne ! dit l’un d’eux. C’est moi qui t’offre cette bière. Je te dois bien cela après le coup bas que je t’ai fait la semaine dernière. Je suis désolé de t’avoir volé ton client. Je n’aurais pas dû… Me garderas-tu ton amitié ?
– T’en fais pas, mon vieux, les affaires sont les affaires et on n’échappe pas à la concurrence. Ne te tourmente donc pas avec ça ! Buvons plutôt à notre santé et à notre réussite à tous les deux ! Et… Joyeuses Fêtes !
Mon étoile ne cessait de me secouer la main. On aurait dit qu’elle se sentait impatiente de repartir.
– Sauvons-nous d’ici. Ce n’est pas dans un endroit pareil que se trouve mon ange. Ici, c’est l’ange du Pardon et de la Bonne Entente qui est venu.
– L’ange du Pardon ? Mais je n’ai pas vu d’ange, moi !
– Bien sûr qu’il se trouvait là ! Ouvre grand tes yeux, mon amie ! N’as-tu pas remarqué le visage sourient de l’homme et la claque amicale qu’il a donné dans le dos de l’autre type en lui disant : « T’en fais pas, mon vieux » ? Pas tout le monde qui agirait de la sorte ! N’as-tu pas vu la lumière blonde de leurs bières quand ils ont entrechoqué leurs verres dans un tintement joyeux ? C’est divin, cela, mon amie ! Allons chercher ailleurs.
Abasourdie, j’eus à peine le temps de reprendre mon souffle que je me retrouvai au cinquième étage d’un grand édifice, dans la dernière salle au bout d’un corridor. Une femme était en train de donner naissance à un enfant. Elle poussait, poussait de toutes ses forces. Son pauvre mari poussait presque aussi fort qu’elle tant il voulait l’aider. Le médecin, couvert de sueur, peinait lui aussi. Soudain, le miracle se produisit : un petit trésor parfaitement modelé lança son premier cri sur la terre des hommes. Ce fut l’euphorie générale. En l’espace d’une seconde, les parents commencèrent à aimer cet enfant plus que leur propre vie. Même le vieux médecin, qui avait pourtant vécu des centaines d’accouchements, ne put retenir un soupir. Ébahie, le cœur fondant d’émotion, j’assistai à cette scène unique et pourtant si humaine, renouvelée de génération en génération depuis la nuit des temps, J’avais tout oublié, l’ange, l’étoile et notre recherche.
– Viens-t’en ! Ce n’est pas encore ici que se trouve mon ange ! s’écria mon étoile, toute penaude. Mais j’espère que tu as au moins reconnu les anges de la Vie et de l’Amour. Ce cri, ces larmes, cet attendrissement…
Je ne répondis pas tant je me sentais bouleversée. Puis, ce fut la cavalcade vertigineuse dans l’air vif et bleu de cette belle journée d’hiver,
– Cherche, mon amie, cherche !
Au bout d’une rue, un homme déblayait un énorme tas de neige sur un perron. Il n’habitait pas cet endroit mais plutôt la maison d’à côté, et il nettoyait l’entrée de son voisin, sachant que celui-ci se trouvait malade. De l’autre côté de la rue, à travers la fenêtre d’une demeure vieillotte, on pouvait voir une grand-maman en train de rouler de la pâte. Elle préparait des beignets pour ses nombreux petits-enfants. L’espace d’un moment, je songeai au petit diable de la Gourmandise.
– Mmmm… Ce que ça sent bon ! fit remarquer mon étoile. On dirait que l’ange de la Bonté est passé dans cette rue. Mais hélas ! Mon ange à moi ne semble pas y être venu…
Nous avons fouillé tous les recoins. À l’école de ballet, c’est l’ange de l’Innocence qui avait laissé derrière lui d’adorables petites filles en tutus roses. Sur la colline, l’ange de la Joie de Vivre avait, de toute évidence, allumé des sourires sur le visage des enfants qui glissaient sur leurs traîneaux. L’ange du Devoir, de son côté, accompagnait les deux étudiantes sagement penchées sur de grands livres fort savants afin de préparer leurs examens de fin de session. L’ange de la Beauté, quant à lui, avait pris l’allure du geai bleu picorant dans une mangeoire d’oiseaux encapuchonnée de neige.
Quand le soir descendit doucement et que les lampes s’allumèrent sous le croissant de lune, je ressentis soudain un grand calme. L’ange de la Paix venait assurément me frôler. En silence, je me pris à rêver.
– Allons, allons ! tu ne cherches plus ? protesta ma petite étoile, désespérée. Où donc peut se trouver mon ange à moi ? Maintenant que tu sais reconnaître les anges, il faut chercher de plus belle, mon amie !
L’on s’en fut donc, à la nuit tombée, au fond d’une prairie située non loin de la ville. Il y avait là une prison où, dans le secret d’une cellule, un prisonnier méditait. Il cherchait, au plus profond de lui-même, la réponse à ses questionnements et surtout, il demandait au ciel la force de se reprendre et de tout recommencer à neuf, Son visage recueilli reflétait une telle sérénité, une telle lumière intérieure…
Je demandai à la petite étoile s’il s’agissait enfin de son ange.
– Non, pas encore ! Mais nous devons garder confiance, car nous venons justement de croiser l’ange de l’Espoir.
J’envoyai à l’homme un baiser du bout des doigts.
– Ce n’est pas encore ici. Vite, il faut continuer à chercher !
Je me sentis emportée dans une étrange et interminable spirale. L’étoile me tirait toujours plus vite, toujours plus fort, toujours plus loin, jusqu’à ce qu’on arrive à la porte d’un bâtiment.
– Où donc m’emmènes-tu, petite étoile ?
Soudain, des voix attirèrent notre attention. On aurait dit que cela montait d’une vieille grange délabrée au fond d’une campagne orientale. Plus on approchait, plus on entendait murmurer des chants doux et mélodieux. Ah ! comme c’était beau !
– C’est ici ! C’est ici ! s’écria mon étoile, tout excitée. Mon ange se trouve ici, tu vas voir !
Et là… ô doux mystère, ô sainte nuit… Entre le bœuf et l’âne, une femme et un homme berçaient un petit bébé en lui murmurant des mots tendres. Il y avait, en ce lieu, une telle paix et une telle douceur que j’en oubliai presque mon étoile, accolée sur le front de l’ange de Lumière. Je tombai à genoux et émerveillée, contemplai l’enfant, moi aussi. La dame me souriait gentiment et je crois bien que je m’endormis sur un tas de foin, épuisée et heureuse, envoûtée par le grésillement de l’étoile.
– Dors, mon amie, tu as bien mérité cette paix…
Une grande clarté illumina soudain ma chambre. Quand je relevai la tête, je vis l’ange de Lumière s’envoler par ma fenêtre avec, sur le front, une merveilleuse petite étoile… Quant à moi, je ne pus réprimer un sourire en m’apercevant qu’un magnifique rayon de soleil me chatouillait la figure, sur le coin de mon lit. Il était huit heures du matin.
Source : Contes de Noël pour les petits et les grands, de Micheline Duff, Éditions Québec Amérique 2012.