La lumière au bout de la ruelle

Conte de Noël

Hors-série, je vous offre aujourd’hui, le conte de Noël écrit par Isabelle Maréchal, animatrice, productrice et journaliste, parue en fin de semaine dans les pages du Journal de Montréal.

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Les fenêtres s’éteignaient de plus en plus tôt cet hiver-là. L’année avait été rude. Le prix des aliments avait grimpé, le chauffage coûtait une fortune, et le bruit constant des nouvelles rappelait les conflits lointains.

Dans le quartier, la méfiance et l’isolement s’étaient installés. Un certain silence aussi. Les voisins autrefois si affables, habitués aux échanges réguliers, ne se saluaient plus qu’en hochant la tête, pressés de rentrer chez eux, loin du regard des autres.

Ils avançaient tête baissée, recroquevillés sous leur parka, craignant que l’autre ne souhaite engager la conservation. Seul bruit, celui des déneigeuses qui raclaient l’asphalte sous la neige.

Maya, une fillette de 10 ans à l’allure dégourdie et aux yeux vifs, vivait dans un appartement délabré avec sa mère, Julia. Depuis le décès de son père, la maison semblait moins chaleureuse malgré les chandelles que Julia allumait chaque soir pour mettre un peu d’ambiance, mais surtout par souci d’économiser l’électricité. Maya la rêveuse aimait se laisser emporter par leur halo incandescent. Elle s’endormait souvent ainsi.

LA COUR À MARABOUT

Comme chaque jour en rentrant de l’école, Maya prit la ruelle et passa devant la cour délabrée de son voisin, le Marabout. C’est ainsi qu’elle surnommait monsieur Beaudoin, l’ancien directeur d’école, grincheux notoire qui n’avait plus le cœur à rien depuis sa retraite forcée. Encore moins à s’occuper de son jardin.

Dans un coin, Maya lorgna le grand érable qui se dressait, ses branches dépouillées mais tenaces, résistant aux vents glacés. La petite eut une idée.

Après avoir fini ses devoirs, Maya découpa des étoiles dans des bouts de carton trouvés dans le bac de récupération. Sur chaque étoile, elle inscrivit de simples mots : « Chaleur », « Amitié », « Un repas partagé », « Un toit pour tous ».

Elle mit ses bottes qui auraient bien mérité une taille de plus et s’emmitoufla dans la doudoune que sa mère lui avait rapportée de Renaissance. Elle couru chez Marabout. S’assurant que le champ était libre, Maya accrocha une à une ses étoiles dans le vieil érable à l’aide de bouts de ficelle.

En regardant son œuvre, elle se tourna vers les fenêtres sombres de la rue et cria à qui voulait l’entendre : – Venez faire un vœu ! Venez faire un vœu !

Personne ne bougea. L’appel de Maya semblait s’être perdu dans la noirceur de la ruelle déserte. La petite rentra chez elle, déçue. Le lendemain à la même heure, Maya reprit son petit jeu.

– Venez faire un vœu ! Venez faire un vœu !

Cette fois, la dame du troisième étage de l’immeuble voisin sortit dans la ruelle. C’était madame Bouchard, qui parlait peu et gardait toujours ses rideaux tirés. Elle avait fabriqué une étoile sur laquelle était écrit : « Un compagnon pour parler ».

Sami, le garçon du duplex d’en face, s’approcha. Timide, il accrocha son étoile : « De l’aide pour mes devoirs ». Peu à peu, les autres voisins s’agglutinèrent autour de l’arbre. Chacun y ajouta son étoile qui portait un vœu ou un besoin. Chaque étoile racontait une histoire, cachée sous le vernis du quotidien.

L’ARBRE MAGIQUE

Une fois l’arbre couvert de ses astres de fortune, quelque chose d’étonnant se produisit. Les gens du quartier commencèrent à se répondre. Madame Bouchard invita Sami à étudier chez elle. Jacques, le voisin du deuxième, bon bricoleur à ses heures, proposa de réparer la chaudière de Julia. Une couturière au bout de la ruelle se mit à coudre des vêtements chauds pour ceux qui en manquaient.

Chaque petit geste illuminait la ruelle autant que les guirlandes improvisées qui ornaient l’érable. L’arbre en avait l’air requinquer. Surtout depuis que le Marabout, euh… pardon, monsieur Beaudoin, l’avait paré de lumières multicolores qui brillaient de mille feux. Ne dit-on pas qu’un érable représente la sagesse, la connaissance et la guidance spirituelle ?

La veille de Noël, Maya, Julia et tous les voisins qui se connaissaient à peine quelques jours plus tôt se donnèrent rendez-vous devant l’arbre. Ce qui avait commencé par une simple idée d’enfant avait transformé la ruelle en une vibrante communauté.

C’est à ce moment précis que la neige décida de se joindre au groupe. Les premiers flocons virevoltèrent autour de Maya, qui sautillait de joie.

– Tu vois maman, même quand tout paraît sombre, il suffit d’une petite lumière pour tout changer. Et plein d’étoiles.

Ce soir-là, sous l’érable scintillant, plus de silence ni de méfiance. Juste des rires, des accolades, et une chaleur que personne n’avait ressentie depuis longtemps.


Vous en pensez quoi ?