Pour un Québec souverain

Politique

Lettre très pertinente de Nicolas Marceau, ancien ministre des Finances et de l’économie du Québec sous le règne du Parti Québécois de 2012 à 2014.

En effet, l’unité canadienne est un mirage, comme en témoignent deux événements de plus dans les derniers 48h: la visite de la PM de l’Alberta chez Donald Trump pour négocier directement et le fait que l’aspirant chef du Parti libéral du Canada Mark Carney ait choisit de faire l’annonce de sa candidature… aux États-Unis, sur la tribune de Jon Stewart. L’Ontario et l’Alberta sont désormais plus autonomistes et indépendantistes que le Québec, c’est le temps de laisser tomber les mythes canadiens et travailler dans la réalité pour tirer notre épingle du jeu. Voici l’intégral du texte:

« Dans une lettre récente, l’ancien premier ministre du Canada, Jean Chrétien, nous invite à nous rassembler pour défendre « le meilleur pays au monde » devant la menace tarifaire de Donald Trump, qu’il qualifie à juste titre de chantage. S’appuyant sur l’affirmation surprenante et bizarre que « le Canada est plus uni que jamais », il invite les provinces à parler d’une seule voix et à passer à l’offensive face aux tactiques de négociation infantiles du président américain désigné.

Tout le monde est d’accord : on ne doit pas se laisser insulter et on doit prendre les moyens pour en arriver à discuter de manière aussi rationnelle que possible avec M. Trump. Mais au-delà de cette évidence, on cherchera en vain l’unité que M. Chrétien affirme constater. M. Chrétien est victime d’un mirage.

Si j’ai du respect pour le caractère batailleur de Jean Chrétien, la stratégie canadienne à laquelle il nous convie repose sur deux mythes et une distorsion de l’histoire récente du Québec dans le Canada. Or, s’appuyer sur une stratégie de commerce international fondée sur des mythes pourrait avoir des conséquences graves pour le Québec.

États-Unis

Le premier mythe est celui d’une position unique et cohérente du Canada face aux États-Unis qui serait à l’avantage du Québec. Pour ce qui est de la position unique et cohérente, je rappelle que le Canada est un mariage forcé de régions et de secteurs économiques disparates n’ayant pas les mêmes intérêts. Tant dans l’histoire récente que dans l’histoire plus longue du Canada, la position canadienne dans ce type de négociation commerciale avec les États-Unis n’a jamais été autre chose qu’un arbitrage périlleux entre les intérêts de l’Ouest (hydrocarbures), de l’Ontario (automobile), des maritimes (hydrocarbures), et ensuite du Québec (aéronautique, aluminium, fer, métaux, bois). Cet arbitrage est le plus souvent dicté par les appuis politiques du parti fédéral au pouvoir dans chacune de ces régions canadiennes et par la force des lobbys industriels qui y sont présents. Et rappelons l’évidence: quand Ottawa fait des arbitrages, il y a des gagnants et des perdants.

D’ailleurs, quant à la possibilité que la position canadienne puisse être à notre avantage, je rappelle que le Québec est trop souvent passé à la trappe dans le passé. Cela découle notamment de son poids politique se limitant à un cinquième des sièges à Ottawa et à sa différence économique et culturelle souvent mal perçue au Canada anglais. Malheureusement, en tant que province du Canada, le Québec doit passer par le gouvernement du Canada pour faire valoir, par gouvernement interposé, ses intérêts auprès de Washington.

Avant même de pouvoir espérer exister aux yeux des Américains, le Québec devra donc accepter des compromis douloureux dans ses discussions avec les autres provinces et le gouvernement fédéral. Dans un ensemble aussi hétérogène que le Canada, le poids politique réduit du Québec se traduira vraisemblablement par des priorités québécoises bien au bas de la liste des priorités canadiennes.

Fort et uni

Le deuxième mythe est celui d’un Canada qui serait fort et uni, et donc capable de passer à l’offensive. Or, en raison des intérêts économiques divergents et irréconciliables des provinces, certaines d’entre elles se sont déjà lancées dans des négociations bilatérales et des tournées de séduction, sans attendre ni le fédéral ni les autres provinces. Avec un gouvernement fédéral en déroute, il n’est évidemment pas surprenant de voir des premiers ministres provinciaux faire cavalier seul pour mettre de l’avant les intérêts de leur juridiction. Ils ont leur région et leurs citoyens en tête. Qui pourrait les en blâmer? Mais de prétendre que le Canada montre présentement un front uni est tout simplement contraire aux faits. Ce qu’on entend présentement, c’est une cacophonie canadienne dont les principaux solistes sont Doug Ford, Danielle Smith, François Legault et Justin Trudeau. On est à mille lieues d’un orchestre jouant la même partition.

Se tenir droit devant les États-Unis et passer à l’offensive plutôt que de se morfondre dans une position défensive sont à l’évidence la chose à faire. Mais il faut le faire avec lucidité et réalisme et cela impose que le Québec ait une position distincte, autonome et offensive. Nous avons des leviers uniques dans cette négociation, mais nous ne voulons certainement pas que nos leviers servent à la préservation des intérêts de l’Ontario et de l’Ouest dans leurs dossiers respectifs de l’automobile et des hydrocarbures. Pour la santé de notre économie, nous voulons que ces leviers soient utilisés au profit de nos entreprises et de nos travailleurs d’ici. Il faut donc aller de l’avant rapidement avec la mise en place d’une équipe Québec composée de tous nos acteurs économiques et politiques. Avec une telle équipe, nous pourrons élaborer une position québécoise forte et consensuelle, et nous pourrons la porter dans tous les forums pertinents.

On ne peut compter que sur nous-mêmes pour défendre et promouvoir les intérêts économiques du Québec. Dans un Canada fracturé comme jamais, ce ne sont pas des mythes et un mirage qui permettront au Québec de relever le défi de la ronde de négociations commerciales à venir. »


Vous en pensez quoi ?