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Histoire
Dans la période entre 1629 et 1834, année de l’abolition de l’esclavage dans l’Empire britannique, l’historien Marcel Trudel a répertorié 4185 personnes qui ont vécu sous la tutelle de l’esclavage chez nous. De ce nombre, les deux tiers étaient des Autochtones et un tiers étaient des Africains et des Afrodescendants. On parle donc de 2683 esclaves autochtones, 1443 esclaves noirs et 59 dont l’origine n’est pas précisée.
À la demande du gouvernement colonial, le roi Louis XIV autorise l’importation d’esclaves noirs en Nouvelle-France à partir de 1689. Une première trace législative apparaît en 1709 quand l’intendant Raudot publie une ordonnance qui définit les esclaves comme étant des biens, donc des personnes qui n’ont pas de droits.

Toutefois, l’absence de règles claires porte préjudice aux personnes noires libres, qui risquent en tout temps d’être asservies contre leur gré. Par exemple, en 1732, le gouverneur Jonquière impose l’esclavage à un homme à la peau noire qui immigrait de la Nouvelle-Angleterre, simplement parce qu’il avait cette couleur de peau et aucun document l’affranchissant.
Il faut attendre 1736 pour que l’intendant Hocquart publie une ordonnance qui impose aux propriétaires qui souhaitent affranchir leur esclave de s’exécuter devant un notaire. On comprend alors pourquoi, avant 1736, on observe la quasi-absence de traces sur le sujet étant donné que l’affranchissement était souvent verbal. Cette situation créait évidemment des enjeux de validation pour les affranchis.
REFUS DE LÉGIFÉRER
Il faut savoir que, dans les possessions coloniales françaises plus au sud, il existe des règles codifiées qui finissent par porter le nom Le code noir. Par exemple, en Martinique ou en Guadeloupe, Le code noir est appliqué dès 1685. Ces règles qui, en théorie, établissent les droits et les obligations des propriétaires et des esclaves noirs diffèrent d’une région à l’autre, mais ne s’appliquent pas spécifiquement ici, au Canada.
Alors, si c’est bien pour les Antilles, pourquoi ne met-on pas en place un « code noir » en Nouvelle-France ? Peut-être parce que la Nouvelle-France est gigantesque et que les Français ont besoin de leurs alliés autochtones pour conserver leur commerce des fourrures.
Peut-être que le vide réglementaire face à la question de l’esclavage en Amérique du Nord française leur permet plus de marge de manœuvre dans l’asservissement de certaines communautés autochtones.
« Au XVIIIe siècle, les personnes autochtones en esclavage vont recevoir le nom ou l’étiquette de panis. On les appelle panis parce qu’au début, ils étaient achetés ou capturés chez une nation qui s’appelait les Panis. Et à la longue, c’est devenu un terme générique, Quelque soit leur nation, on les appelait les panis. Et c’était un peu un moyen de brouiller les cartes identitaires ou nationales, si on peut dire, et ainsi faciliter l’esclavage de ces personnes. » – Aly Ndiaye
L’ARRIVÉE DES LOYALISTES APRÈS LA CONQUÊTE
S’il n’existe pas formellement de « code noir » pour le Canada, les codes et habitudes des autres colonies esclavagistes influencent les coutumes et la pratique en Nouvelle-France.
« L’esclavage se poursuit après la chute de la Nouvelle-France en 1763. L’article 47 de l’acte de capitulation de Montréal en 1760 confirme la poursuite de l’asservissement des personnes noires et autochtones. Puis, des loyalistes libres à la peau noire ainsi que d’anciens esclaves affranchis migrent vers l’Amérique du Nord britannique au tournant des années 1780. Des Noirs libres, oui, mais des esclaves aussi. Le gouvernement anglais écrira dans une législation de 1790 qu’il permet aux loyalistes de l’Empire-Uni d’importer sans taxes leurs « nègres [sic], meubles, outils d’élevage et vêtements ». » – Bruce G. Wilson, Encyclopédie canadienne
Ainsi, au lendemain de la guerre d’indépendance des 13 colonies américaines, de nombreuses personnes afrodescendantes viennent s’établir chez nous. Même si une majorité s’installe dans les Maritimes, on sait que des milliers d’entre eux, esclaves et affranchis, arrivent à cette époque sur les territoires du Haut et du Bas-Canada.
« Sous le régime anglais, on retrouve des actes de vente concernant ces personnes. » – Aly Ndiaye
UN BOUC ÉMISSAIRE BIEN PRATIQUE
Des blancs de toutes les classes sociales possèdent des esclaves. Ce sont principalement des marchands, mais les propriétaires sont aussi des agriculteurs, des hommes politiques et des membres du clergé. Ils soumettent ces asservis à des conditions de travail et de vie pénibles et leur imposent des violences corporelles.
Ces esclaves ont une vie souvent bien courte. Selon Marcel Trudel, l’espérance de vie des esclaves est seulement de 25 ans en moyenne. On constate souvent dans l’histoire que celui qui vient d’ailleurs devient un bouc émissaire bien pratique quand on cherche un coupable.

On l’a souvent constaté dans de lugubres histoires de lynchage aux États-Unis, mais aussi chez nous. L’histoire de Marie-Josèphe Angélique, accusée d’avoir incendié volontairement Montréal, est un récit judiciaire fort éclairant pour tenter de comprendre et de connaître l’évolution du jugement social.
Ce qu’on comprend par exemple, c’est qu’en 1734, lorsqu’elle subit son procès, tout le monde la croyait coupable d’avoir déclenché le terrible incendie. Deux cents ans plus tard, on aura plutôt tendance à la percevoir comme une pauvre victime d’un système colonial raciste, un bouc émissaire.
Aujourd’hui, on va encore plus loin et on émet l’hypothèse qu’elle a peut-être allumé l’incendie parce qu’elle était une résistante. Marie-Josèphe Angélique se serait peut-être battue conte le mode de vie oppressif qu’elle subissait.
Un autre élément fascinant en lien avec l’histoire judiciaire de Marie-Josèphe Angélique, dont on ne parle jamais, c’est la personne qui devait l’exécuter. Son bourreau était lui-même un homme en esclavage du nom de Mathieu Léveillé. Ce dernier avait été acheté en Martinique pour devenir le bourreau de la colonie et Marie-Josèphe Angélique était la première exécution qu’on lui imposait.
On raconte que cette exécution a plongé ce jeune bourreau dans une profonde dépression à tel point qu’au bout de huit ans, l’intendant a décidé de lui acheter une femme noire en Martinique pour lui redonner le sourire. Mais ils n’ont pas eu l’occasion de se rencontrer parce que Mathieu Léveillé, affaibli par la maladie, est mort quelques mois après l’arrivée d’Angélique Denise à Québec.
CE QU’ON DOIT RETENIR
Revenons sur le nombre de 4185 esclaves de Marcel Trudel. Comme l’historien a effectué ses recherches dans les années 1950 avec les outils technologiques de son époque, il est possible que le nombre d’esclaves soit beaucoup plus important. Le grand historien spécialisé dans l’esclavage des Autochtones en Nouvelle-France, Brett Rushforth, affirme qu’il devait y avoir au moins 10 000 personnes en esclavage pour le Canada, dont une grande partie sur le territoire actuel du Québec.
« Si une personne ne laisse pas de traces dans les actes notariés, juridiques, même dans les registres de sépulture, on perd sa trace. Je ne suis pas surpris qu’il y ait pas mal plus d’esclaves que ce qu’on croyait. » – Aly Ndiaye
Source : Martin Landry, historien, Journal de Montréal, cahier weekend, 8 février 2025, p64