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Histoire
Les deux tempêtes qui ont laissé 72 cm de neige la semaine dernière à Montréal – une première depuis 1898 – rappellent que la « grosse bordée » de plus de 40 cm survient en moyenne une fois par décennie dans la métropole. Les tempêtes hivernales dont on veut se souvenir, on les immortalise en photo.

Le fonds d’archives photographiques du Musée McCord de Montréal compte des milliers de photographies de l’hiver québécois. Celles d’Alexandre Henderson, un Écossais arrivé à Montréal à 24 ans en 1855, ont fait l’objet d’une exposition en 2022. Ses paysages souvent enneigés de la vallée du Saint-Laurent sont de merveilleux témoignages de notre rapport à l’hiver.
Bibliothèque et Archives nationales du Québec possède d’innombrables photographies prises en hiver. Certaines présentées ici sont des pages d’histoire de la place qu’occupe la saison froide dans la culture québécoise.
LE DÉNEIGEMENT À QUÉBEC
À Québec, la Literary and Historical Society of Quebec a documenté l’histoire du début du 20e siècle d’une façon très originale. Certains de ses membres – on ignore lesquels parce que les œuvres sont anonymes – ont pris des photos de l’hiver 1909-1910 en se concentrant sur le déneigement.
Grâce à un fonds de 141 photos déposé à Bibliothèques et Archives Canada en 1984 par Avery Stanyar, une résidente de l’Outaouais, on sait que les charrues tirées par des chevaux déversaient le contenu de leur cargaison directement dans le fleuve Saint-Laurent.
On comprend aussi les enjeux que représentent les nombreuses côtes de la ville et des escaliers glissants. On voit aussi les enfants en luge non seulement sur les sites prévus à cet effet, mais aussi en pleine ville, au péril de leur vie, un siècle avant le Red Bull Crashed Ice.
UN SPORT EXTRÊME

Photographier l’hiver n’est pas anodin. La photo a longtemps été un art délicat et complexe. Un seul cliché pouvait nécessiter des heures de préparation. La composition était soignée et le déploiement technique, exigeant. Quand l’appareil photo était sur son trépied, les figurants prenaient place et retenaient leur souffle durant l’exposition. C’est seulement après le travail en chambre noire qu’on voyait le résultat.
Le maître incontesté dans ce sport extrême est sans doute William Notman (1826-1891), Écossais lui aussi, qui a mis en scène l’hiver québécois.
On voit plusieurs scènes de la vie quotidienne l’hiver dont certaines en pleine tempête, comme ce livreur de journaux qui tient son capuchon contre le vent.
Des dames costumées en habit d’époque et des patineurs sont aussi parmi ses thèmes de prédilection.
LES CHÔMEURS CHASSAIENT LA NEIGE À LA PELLE

Au début du 20e siècle, c’est à la pelle qu’on déblaie les rues de Montréal. Les chômeurs bénévoles s’unissent pour dégager à la main la rue Sainte-Catherine et permettre le transport de marchandises ainsi que le passage piétonnier.
« Longtemps, l’hiver était une saison plus efficace que le printemps ou l’automne pour le transport de marchandises et le déplacement des gens. On circulait sur la neige en sleigh sans même retirer la neige de la chaussée », relate l’urbaniste Gérard Beaudet, de l’Université de Montréal.
Ce spécialiste de l’innovation municipale précise que certaines villes du Bas-Saint-Laurent attendront jusqu’au milieu des années1960 pour voir leurs routes dégagées l’hiver. Et un inventeur de Trois-Rivières patente un immense rouleau qui aplatit les bordées pour permettre un meilleur glissement des rails de calèche.
L’AUTO CHANGE TOUT
C’est l’usage de l’automobile qui va tout changer. « Au début, les gens remisaient leur voiture l’hiver, car ils considéraient que ça ne valait pas la peine de l’entretenir. Et le réseau routier n’était pas adapté. Mais la pression sur les gouvernements se fera de plus en plus importante pour circuler quatre saisons », reprend-il.
Les voies ferrées font aussi face au problème de l’enneigement. Les trains doivent compter sur des charrues sur rail qui dégagent le passage dans un immense nuage blanc. Mais cela ne suffit pas toujours, et des trains sont parfois immobilisés dans la neige.

UN LIVREUR INVENTE LA SOUFFLEUSE
C’est à Arthur Sicard (1876-1946), dans son hangar, qu’on doit l’invention de la souffleuse à neige.
« Il était livreur et cherchait un moyen d’accélérer le déblaiement des rues », commente M. Beaudet.
Son invention, inspirée de la moissonneuse-batteuse, sera acquise en 1927 par Outremont, puis par la Ville de Montréal à la fin des années 1920 avant de conquérir le monde nordique.
Ce n’est pas la seule contribution purement québécoise au grand combat des villes contre la neige. Sicard lui-même dessine le premier chasse-neige (un québécisme, comme les mots « déneigeuse » et « souffleuse à neige »).
La chenillette qui déblaie les trottoirs encore de nos jours naît dans la tête de Joseph-Armand Bombardier, un contemporain de Sicard.
Si Montréal est aujourd’hui une des métropoles nordiques les mieux équipés au monde pour faire face aux tempêtes, la mécanisation de la guerre à la neige n’a pas fait l’unanimité à ses débuts.
Des conseillers municipaux s’y étaient opposés, car toute ces machines allaient « mettre en péril l’ouvrage [des] chômeurs hivernaux, alors qu’on se trouve en pleine crise économique », relate le site de la Ville de Montréal.
Source : Mathieu-Robert Sauvé, Journal de Montréal, cahier weekend, 22 février 2025, p67