Un pan de notre histoire : Il y a 50 ans, le Québec sauvait la vie de milliers de familles brisées

Histoire

De 1975 à la fin des années 1980, on estime qu’environ 1,5 million de Vietnamiens ont fui leur pays, principalement par la mer. Ils étaient entassés sur de petites embarcations de fortune, sans moteur fiable ni nourriture suffisante. Leur destination pouvait être n’importe quel pays voisin : la Thaïlande, la Malaisie, les Philippines, Hong Kong, etc.

Boat people

Ces boat people, comme on les appelle communément, fuyaient la terreur qui s’abattait sur leur pays. Leur exil sera largement médiatisé et attirera l’attention des Québécois.

Tout commence à la fin de la guerre du Vietnam, au printemps de 1975, quand Saïgon tombe aux mains des troupes communistes du Nord. La république du Vietnam s’effondre.

Très vite, le nouveau régime met en place des camps de rééducation. Des centaines de milliers de personnes, comme d’anciens fonctionnaires, des militaires ou des professeurs, sont jugées ennemies du peuple et sont arrêtées, certaines torturées.

Pour survivre à cette répression, des familles entières s’enfuient par la mer. Dans des embarcations de fortune, surchargées, ils défient la mer, la famine et les pirates.

Il n’est pas rare de voir 4000 personnes sur un navire conçu pour 400.

On pense qu’au moins un million de réfugiés auraient fui le Vietnam par la mer à bord de ces rafiots. Ce chiffre ne prend pas en compte les noyés, ceux qui ont été capturés, violés ou tués en mer.

Selon le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, de 200 000 à 400 000 boat people auraient trouvé la mort durant leur fuite.

Souvent, ceux qui survivent ont eu la chance de croiser la route d’un navire marchand étranger. Ils sont alors conduits vers des camps de réfugiés.

ATTENTE DANS LES CAMPS

Après avoir survécu à la traversée commence une autre épreuve : celle de l’attente interminable dans les camps.

En Thaïlande, en Indonésie, aux Philippines, à Hong Kong ou en Malaisie, les réfugiés s’entassent dans des abris de fortune, Il manque de nourriture, d’espace et les maladies sont nombreuses. Certains y passeront des années.

Les camps débordent, mais personne ne semble trouver de solution jusqu’au jour où le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés décide d’intervenir, quand l’Indonésie refuse un cargo (le Hai Hong) d’accoster sur ses côtes en 1978. Les 2500 migrants sont alors escortés dans les eaux internationales.

L’intransigeance indonésienne force la communauté internationale à trouver des solutions à cette catastrophe pour l’humanité. Soixante-cinq pays participent à une grande conférence internationale et mettent enfin en place un plan pour trouver une terre d’accueil à ces gens.

Dès la fin des années 1970, des émissaires de nombreux pays occidentaux dont le Canada, viennent y sélectionner des réfugiés.

ÉLAN DE SOLIDARITÉ DES QUÉBÉCOIS

La crise des réfugiés d’Indochine survient au moment où le gouvernement du Québec est en pleine négociation avec le gouvernement fédéral pour récupérer des pouvoirs en matière d’immigration.

En 1978, une entente entre Ottawa et Québec (Cullen-Couture) permet à la province d’avoir son mot à dire dans le choix des réfugiés qu’elle recevra.

Jacques Couture 1929-1995

Le ministre de l’Immigration du Québec de l’époque, Jacques Couture, est convaincu que nous avons l’obligation de venir en aide à ces gens frappés par l’infortune. Il met alors sur pied, en un temps record, un programme de parrainage unique au pays, basé sur la solidarité, pour faciliter l’accueil et l’intégration des Vietnamiens.

Résultat : plus de 10 000 réfugiés des camps d’Asie du Sud-Est seront dirigés vers le Québec. En fait, entre 1979 et 1982, les Québécois accueilleront près de 22 % de tous les réfugiés vietnamiens au pays.

Des communautés religieuses, des familles, des groupes citoyens se mobilisent pour les accueillir. Pour chaque personne parrainée par un Québécois, le gouvernement s’engage à en accueillir une autre.

Cette solidarité permet à des milliers de familles brisées de reconstruire leur vie au Québec.

À leur arrivée à l’aéroport de Dorval, ils sont évidemment frappés par le contraste climatique. Ils passent d’un climat tropical à un pays où il fait -20°C en hiver. Ils découvrent la neige, les manteaux d’hiver, les bottes, les vitres qui gèlent et les pelles à neige.

Plusieurs racontent encore leur premier Noël blanc comme un moment magique, mais aussi comme une épreuve. Ils découvrent la chaleur humaine et la générosité de Québécois ordinaires qui les aident à se loger, à apprendre le français, à chercher un emploi ou à inscrire leurs enfants à l’école. Cette solidarité marque profondément les Vietnamiens.

Tout semble différent. Par exemple, ils découvrent qu’au Québec l’école est gratuite, obligatoire et qu’il existe des ressources pour apprendre le français. Les enfants s’adaptent vite, souvent plus vite que leurs parents. Les supermarchés québécois regorgent de fromages, de pain tranché, de lait en sac – des produits complètement inconnus pour eux – mais ils peinent à trouver du riz ou de la sauce de poisson.

Tout est à apprendre : la plupart ne parlent ni le français ni l’anglais. Beaucoup n’ont ni famille ni contact ici. Et pourtant, grâce aux associations vietnamiennes, aux groupes religieux et à la bienveillance de citoyens ordinaires, ils entament un nouveau chapitre.

INTÉGRATION COURAGEUSE

S’adapter au climat, apprendre une nouvelle langue, trouver un emploi… les défis sont immenses. Pourtant, en quelques années, la communauté vietnamienne commence à s’épanouir. Dès 1986, on compte de nombreux restaurants vietnamiens à Montréal. La cuisine devient un pont entre deux cultures, un moyen de survivre et de partager.

Pour les jeunes nés ici ou arrivés très tôt dans leur vie, la réussite scolaire devient une mission sacrée. Ils veulent honorer les sacrifices de leurs parents.

Selon le dernier recensement, on compte actuellement environ 46 000 personnes d’origine vietnamienne au Québec, dont 39 000 à Montréal. Nombre d’entre elles sont les enfants ou petits-enfants de ces boat people. Leurs histoires sont parfois racontées, mais souvent gardées sous silence. Pourtant, elle témoignent d’un courage inouï et d’une capacité d’adaptation extraordinaire.

On ne peut pas comprendre la communauté vietnamienne du Québec sans se souvenir de cette grande migration.

DEVOIR DE MÉMOIRE

Le rôle du Québec dans cet accueil est remarquable. Porté par des figures politiques comme Jacques Couture mais aussi par des milliers de citoyens ordinaires, le mouvement de solidarité envers les réfugiés vietnamiens reste un modèle d’hospitalité et d’humanité important dans notre histoire collective.

Cet accueil massif n’avait pas pour but d’augmenter la démographie ou de stimuler notre économie. Non, c’était simplement un élan de solidarité des Québécois envers la détresse humaine de ces réfugiés.

Quarante ans plus tard, des familles syriennes ont vécu une épreuve similaire. Et ce sont, entre autres, des Vietnamiens devenus pleinement québécois qui ont été parmi les premiers à leur tendre la main.

C’est peut-être ça, la plus belle leçon de cette histoire : en tendant la main à l’autre, on construit non seulement une société plus juste, mais aussi plus riche.

Source : Martin Landry, historien, Journal de Montréal, cahier weekend, 3 mai 2025, p67


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