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Histoire
Une « constitution québécoise », le mot sonne fort, presque irréel, vous ne trouvez pas ? Avec ce projet, Simon Jolin-Barrette remet au goût du jour un rêve que le Québec caresse depuis plus d’un demi-siècle.

À QUOI SERT UNE CONSTITUTION, AU JUSTE ?
En fait, une constitution, c’est comme le mode d’emploi d’un pays. La nôtre, celle du Canada, c’est la loi des lois, tout ce qui est voté par les législateurs doit respecter le droit constitutionnel, sinon la Cour suprême juge la loi anticonstitutionnelle.
C’est elle qui fixe les règles du jeu entre le pouvoir central à Ottawa et les provinces. Elle agit comme une boussole morale et politique, elle établit les grands principes qui tiennent la démocratie debout, comme la séparation des pouvoirs, la primauté du droit, la liberté d’expression et l’égalité devant la loi.
Et surtout, elle est un garde-fou contre les excès des gens qui exercent le pouvoir. Bref, elle trace les limites à ne jamais franchir.
IL FAUT SAVOIR
Évidemment, les provinces n’ont pas de constitution propre, elles sont régies par celle du pays. La nôtre a été mise en place en 1867 (l’Acte de l’Amérique du Nord britannique), puis rapatriée et modifiée en 1982.
Or, le Québec n’a jamais accepté cette version de la Constitution amendée en 1982, et ses principes lui ont été maladroitement imposés. Cette blessure politique, encore sensible, nourrit l’idée que le Québec devrait se doter d’un texte fondateur à son image.
C’est un peu cette idée que le ministre Simon Jolin-Barrette remet de l’avant, en parlant d’un document qui fixerait nos valeurs communes pour protéger la laïcité de l’État, la primauté du français et la reconnaissance des droits et libertés.
Retournons maintenant dans les années 1960 pour redécouvrir le grand rêve constitutionnel du premier ministre Daniel Johnson père.
LE RÊVE D’UN QUÉBEC ÉGAL EN DROIT ET EN FAIT

Johnson devient premier ministre du Québec en 1966. Il saute dans l’arène politique fédérale en mettant de l’avant une idée audacieuse qui lui a permis de séduire les Québécois. Il propose de refonder le Canada sur la base de deux nations égales, l’une francophone, l’autre anglophone.
Une orientation exposée dans son manifeste Égalité ou indépendance. Il rêvait d’un ordre binational, où ces deux nations pourraient gérer leurs intérêts communs sur un pied d’égalité. Johnson revendique pour le Québec des pouvoirs constitutionnels élargis, des leviers essentiels pour le développement de la vie nationale des Canadiens français.
Il propose même que chaque province puisse, à sa guise, déléguer certains pouvoirs au fédéral et non l’inverse. Dans cette logique, Ottawa ne serait plus au sommet de la pyramide du pouvoir, mais l’un des deux partenaires égaux d’une fédération véritablement équilibrée.
Il rêvait d’une réforme constitutionnelle où le Québec serait maître de ses institutions et pourrait se développer en respectant sa culture et les aspirations de ses citoyens. Quand il prend la parole lors de la conférence interprovinciale sur la « Confédération de demain », à Toronto en 1967, il impressionne par la clarté de sa vision : « Le Canada de demain, dit-il, devra être fondé sur une nouvelle constitution [… ] qui respecte les droits collectifs et les aspirations normales de chacune des nations. » – Daniel Johnson
UNE CONSTITUTION POUR NOUS MODERNISER
Dans les coulisses, ses conseillers planchent sur une constitution québécoise. On y trouve déjà l’idée d’une Charte des droits de la personne propre au Québec.
Johnson voulait que cette charte s’applique uniquement aux domaines relevant du Québec, principalement pour refléter les traditions du droit civil plutôt que celles de la common law canadienne. Il prônait aussi la création d’un tribunal constitutionnel, où les provinces désigneraient les deux tiers des juges, pour mieux équilibrer les forces dans l’interprétation du droit.
Le projet de constitution de l’Union nationale proposait aussi de transformer le Sénat en véritable chambre fédérale binationale.
Johnson proposa même l’idée de rebaptiser le pays « Union canadienne », avec la possibilité qu’il devienne un jour une république.
LA MORT D’UN RÊVE

Mais le destin a frappé avant que ce projet aboutisse. Le 26 septembre 1968, le premier ministre Johnson meurt subitement d’un malaise cardiaque. Il n’avait que 53 ans. Son projet de réforme constitutionnelle sera par la suite défendu timidement par son successeur, Jean-Jacques Bertrand, avant d’être éclipsé par l’arrivée au pouvoir d’un certain Pierre Elliott Trudeau.
Trudeau refusait catégoriquement cette vision « binationale » proposé par l’Union nationale. Il préférait l’idée d’un Canada où tous les citoyens, qu’ils soient anglophones ou francophones, jouissent des mêmes droits individuels, sans reconnaissance particulière.
Le choc entre les deux conceptions, celle d’un Canada des nations et celle d’un Canada des individus défendue par Trudeau père, marquera durablement notre histoire canadienne.
UN DÉBAT TOUJOURS VIVANT
Et c’est d’ailleurs ce fossé qui explique encore aujourd’hui pourquoi le Québec n’a jamais signé la Constitution de 1982.
Près de 60 ans plus tard, quand Simon Jolin-Barrette nous parle d’une constitution québécoise, difficile de ne pas entendre l’écho du passé. Certes, le contexte a changé et le projet de la CAQ ne réclame pas l’indépendance, mais il cherche toujours à baliser l’autonomie du Québec.
Bref, si un jour le Québec adopte sa propre constitution, il faudra se souvenir que Daniel Johnson père fut le premier à en tracer les contours, au milieu des années 1960.
Source : Martin Landry, historien, Journal de Montréal, cahier Weekend, 18 octobre 2025, p54