Un pan de notre histoire : Le saccage de la Baie-James

21 avril 2024

Le 21 mars 1974, un agent d’affaires de la FTQ, un certain Yvon Duhamel, est aux commandes d’un Caterpillar D-9 sur le chantier du barrage hydroélectrique LG-2, à la Baie-James. Enragé, celui qui est représentant de l’Union internationale des opérateurs de machineries lourdes fonce avec son bulldozer sur trois génératrices valant 250 000 $ chacune.

Il défonce également des réservoirs à essence et cause un important incendie, forçant l’évacuation du chantier.

Duhamel venait de commettre « le saccage de la Baie-James ».

UNE ÉPOQUE DE GRANDS PROJETS

Barrage LG-2

Les années 1960-1970 sont des années de grands projets économiques au Québec. Les Canadiens français s’approprient l’État québécois et sentent le besoin de prouver au monde et à eux-mêmes qu’ils possèdent un savoir-faire technique leur permettant eux aussi de réaliser des projets de grande envergure.

Dans la foulée, le gouvernement du Québec, grâce aux prêts consentis par la haute finance, procède à d’importants investissements pour stimuler la croissance économique et permettre aux Québécois d’atteindre un niveau de vie matériel conforme aux standards du progrès et de la modernité de l’époque.

Si la décennie 1960 est surtout marquée par la construction d’infrastructures publiques, comme les autoroutes 20 et métropolitaine, le pont-tunnel Louis-H La Fontaine, le métro de Montréal et la tenue de l’Expo 67, la décennie 1970 est marquée par la construction de polyvalentes, de cégeps et d’universités, mais surtout par l’imposant chantier olympique de Montréal et la mise en chantier du complexe hydroélectrique La Grande, à la Baie-James.

Ce dernier chantier est alors présenté comme « le projet du siècle » !

UNE INDUSTRIE À PART

Ces différents travaux font de l’industrie de la construction une industrie prospère qui emploie de nombreux salariés, pour lesquels les deux principaux syndicats de l’époque, la FTQ et la CSN, se disputent l’adhésion et les cotisations.

Plusieurs conflits intersyndicaux ont lieu sur les chantiers dans les années 1960, ce qui oblige le ministre du Travail de l’Union nationale, Maurice Bellemare, à déposer en 1968 le bill 290.

Ce bill, aujourd’hui appelé loi R-20, encadre les relations de travail dans l’industrie de la construction et reconnaît la spécificité de cette industrie, où désormais le Code du travail ne s’applique plus.

Comme le souligne l’auteur Louis Delagrave dans son Histoire des relations du travail dans la construction au Québec (P.U.L., 2009) la nouvelle « loi consacre officiellement le duopole syndical » et la liberté pour les travailleurs d’appartenir au syndicat de leur choix, « espérant que cessent les persistantes luttes entre la CSN et la FTQ ».

Malgré la nouvelle loi, les rivalités intersyndicales perdurent et atteignent leur paroxysme sur le chantier du barrage LG-2, lors du « saccage de la Baie-James ».

Le Conseil provincial du Québec des métiers de la construction (CPQMC), représenté par la FTQ à l’époque et dirigé par le membre du local 144 André « Dédé » Desjardins, instaure un climat de peur sur le chantier et veut le monopole syndical. C’est en ce sens que, le 21 mars 1974, l’agent d’affaires Yvon Duhamel et d’autres agents provocateurs saccagent le chantier LG-2.

Les dommages sont évalués à plus de 30 millions de dollars, une somme énorme pour l’époque, et le chantier restera fermé pendant 51 jours.

Duhamel écopera d’une peine de 10 ans de prison pour ses méfaits.

Commission Cliche

LA COMMISSION CLICHE

Six jours après le saccage, le 27 mars, le gouvernement de Robert Bourassa doit réagir et crée la Commission d’enquête sur l’exercice de la liberté syndicale dans l’industrie de la construction, qui débute ses travaux dès le mois de mai. Le juge Robert Cliche est nommé président, assisté des commissaires Brian Mulroney et Guy Chevrette. Lucien Bouchard est quant à lui nommé procureur en chef.

Au fil des mois, la commission parvient à éclairer les causes de la rivalité intersyndicale et les liens importants entre certains syndicats affiliés à la FTQ et le crime organisé.

« Dédé » Desjardins est mis sur la sellette et démissionne de son poste en novembre 1974.

Une importante révision dans l’industrie de la construction s’ensuit : des syndicats sont mis sous tutelle et le gouvernement adopte plusieurs lois qui viennent encadrer davantage ce secteur particulier du monde du travail.

Dans la construction, le « saccage de la Baie-James » aura d’importantes répercussions pour les années qui suivent…

Source : Martin Lavallée, Journal de Montréal, cahier Weekend, 23 mars 2024, p76


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