Le premier Noël d’Ernest

La Une

Ah ! Ce qu’il paraissait joli dans ses jeans bleu délavé et sa chemise à carreaux verts et rouges ! Avec un grand soin, madame Lavigueur avait choisi pour lui, dans le coffre du grenier contenant les vieux vêtements de son défunt mari, une belle et longue ceinture fléchée, un nœud papillon à l’allure pimpante ainsi qu’un large chapeau à bordure rouge.

De la paille fraîche pour sa chevelure et un sourire radieux formé de boutons avaient achevé de convertir notre ami Ernest en un épouvantail pas terrifiant du tout ! Chaque printemps, il se trouvait tout fin prêt pour aller se balancer au vent et tenter d’effrayer les oiseaux qui venaient voler les graines du jardin.

Dès la venue du temps des semailles, la veuve Lavigueur, avec l’aide de son voisin, suspendait Ernest sur son piquet au coin du jardin potager, face à la maison. Il passait là des étés sensationnels, se laissant bercer par la brise légère ou somnolant sous les rayons du soleil. Madame Lavigueur comptait sur lui pour chasser les oiseaux voleurs de graines.

Malheureusement, Ernest se montrait si aimable que malgré lui, avec son grand sourire naïf et ses beaux yeux rieurs, il n’arrivait à effrayer personne : ni les vilaines corneilles qui le saluait en croassant tout en se délectant effrontément des semis de carottes et de laitue, ni les ratons laveurs, ni l’écureuil fouineur, pas même la marmotte qui venait creuser des trous dans la terre en ne manquant pas de piquer une jasette avec Ernest.

Madame Lavigueur le disputait parfois un peu lorsqu’elle venait bêcher la terre, au lever du jour.

– Quel est cet épouvantable épouvantail qui n’éprouvante personne ? Ah ! petit coquin ! Tu es trop mignon, c’est seulement pour cela que je te garde ! J’adore ton sourire et ta bonne compagnie !

Ernest, tout ému, écoutait chantonner la petite dame appuyée sur son râteau. Même le chien Brandy n’oubliait pas de le visiter plusieurs fois par jour. Pour dire la vérité, Brandy, qui aboyait après la marmotte et faisait fuir les écureuils et les affreux corbeaux, constituait bien plus qu’Ernest le véritable gardien du jardin.

À l’automne, une fois les moissons terminées, madame Lavigueur décrochait Ernest de sa perche et le remontait au grenier pour la saison froide.

– Viens-t’en, mon grand. Il est temps de te mettre au repos et à l’abri.

Suspendu à une poutre près de la fenêtre durant tout l’hiver, l’épouvantail n’avait pour seuls compagnons que les craquements de la maison et une petite souris qui le taquinait de temps en temps. Alors, bien au chaud, il s’endormait pour plusieurs mois.

Cette année-là, quand le mois de mai survint, Ernest retourna dehors avec joie. Cependant, tout au long de l’été, l’épouvantail remarqua quelque chose d’inhabituel. Brandy ne sortait presque plus, madame Lavigueur non plus. Seul le voisin venait de temps à autre et à la hâte pour entretenir le jardin.

Finalement, les tomates pourrirent sur leurs plants avant d’être cueillies alors que les pommes de terre et les carottes restèrent enfouies sous la terre très tard dans la saison, au grand plaisir de la marmotte. À la fin d’octobre, personne ne vint récolter les citrouilles pour fabriquer des tartes ou décorer le perron de la maison. Ernest ne comprenait plus rien.

Un bon matin, il vit deux étrangers pénétrer dans la résidence et en ressortir avec madame Lavigueur en chaise roulante. Ils la poussèrent jusqu’à leur voiture, suivis de Brandy, la tête basse et la queue entre les pattes. Ils ne revinrent jamais. Ni le chien, ni madame Lavigueur, ni le voisin, ni personne d’autre que le vent.

Ernest, écrasé de chagrin, resta planté au fond du jardin, abandonné de tous. Les feuilles mortes, moqueuses, tourbillonnaient autour de lui en exécutant des danses diaboliques et ensorceleuses. Le pauvre petit épouvantail, étourdi, se mit à avoir peur. Le froid commençait à le mordre cruellement, la pluie lui fouettait le visage, le vent sifflait dans ses oreilles et s’amusait à défaire ses cheveux de paille.

– Au secours ! gémissait-il faiblement, en tremblant de tous ses membres.

Novembre s’écoula, gris et glacial, nu comme la mort. Mais le brave Ernest continuait de tendre ses bras au vent et de sourire malgré tout. Les ratons laveurs et le siffleux ne venaient plus, les corneilles avaient quitté le pays depuis belle lurette, même le renard ne se montrait plus le bout du museau. Mais Ernest continuait d’espérer dans le secret de son cœur qu’un miracle se produirait et que quelqu’un viendrait enfin le délivrer.

Décembre fut encore plus glacial. Une nuit particulièrement froide et claire, le pauvre épouvantail sanglota à chaudes larmes.

– À l’aide, quelqu’un ! Je vais mourir !

Quelle ne fut pas sa surprise de voir une étoile s’approcher de lui en scintillant.

– Bonjour Ernest ! Tu appelles au secours !

– Bonjour ! Qui es-tu ?

– Je suis la reine des étoiles, l’Étoile de Noël. Pourquoi donc pleures-tu comme ça ?

– J’ai froid et j’ai peur… Et je me sens bien seul.

– Tu devrais pourtant sauter de joie, Ernest. Ne sais-tu pas que Noël arrivera dans quelques jours ? Demain, une gigantesque tempête de neige parera toute la terre d’un magnifique manteau blanc.

– Quoi ? Noël ? Manteau de neige ? Je ne connais absolument rien de tout cela, moi ! J’ai toujours passé l’hiver à dormir au grenier de madame Lavigueur !

– Noël, mon petit Ernest, c’est la plus belle de toutes les fêtes, un temps pour se réjouir et partager, et non pour pleurer, Alors, sèche vite tes larmes !

– Partager ? Me réjouir ? Pourquoi devrais-je me réjouir ? Me voilà tout seul avec rien à partager, personne avec qui fêter. Tous mes amis sont partis et m’ont abandonné.

Ernest se mit à pleurer de plus belle. La petite étoile avait beau le chatouiller et le gratouiller pour le faire rire, rien n’y faisait.

– Allons, allons ! Ne pleure plus. Je vais tâcher d’arranger cela. Je viens juste d’avoir une idée. Je connais une famille de mésanges qui se cherche désespérément un logement avant la bordée de neige. On a recommandé à tous les habitants de la forêt de se mettre à l’abri avant l’aube car la tempête sera foudroyante : le vent soufflera de toutes ses forces et les flocons seront énormes et abondantes. Tu comprends, il faut recouvrir la campagne entière de neige sans oublier un seul recoin pour Noël, et cela représente un énorme travail ! C’est mon rôle de reine des étoiles de voir à ce que chacun soit bien abrité et en sécurité, d’ici là.

– C’est quoi, ton idée, alors ?

– Je ne t’en dis pas plus, Surtout, ne bouge pas ! Demain, avant l’aurore, tu auras entendu parler de moi.

Ne bouge pas, ne bouge pas ! Elle en avait de bonnes, la reine des étoiles ? Comme si un épouvantail pouvait bouger et se déplacer par lui-même ! Tout ce qu’il arrivait à faire, c’était de frissonner dans la brise glaciale !

Il demeura toutefois en alerte toute la nuit, l’œil rivé sur l’horizon, guettant les premières lueurs de l’aube qui tardait à venir. Au petit matin, il remarqua que les étoiles avaient disparu derrière d’épais nuages d’un gris très prononcé. « Ma petite étoile ne viendra pas… J’aurais dû me méfier, il ne s’agissait que d’un rêve fou. Une simple illusion ! » Il fondit à nouveau en larmes dans le vent qui virait tout à l’envers autour de lui.

– Tchip ! Tchip ! Salut, monsieur Ernest ! Tchip ! Tchip ! Il paraît que vous avec un logement à louer ?

– Euh… moi, un logement à louer ? Je me demande bien où !

– Nous donnez-vous la permission de nous réfugier sous votre chapeau, alors ?

– Mon chapeau ? Pourquoi pas ! Justement, il y a un petit trou tout près de mon oreille. Juste ici, à gauche. Vous pouvez entrer par là.

Les mésanges ne se le firent pas dire deux fois ! La nombreuse famille au grand complet s’engouffra joyeusement sous le chapeau d’Ernest. Toutes y transportèrent rapidement les débris de feuilles mortes et des brins d’herbe dénichés sous les arbres afin d’améliorer leur confort.

En passant à travers l’orifice qui leur servait de porte d’entrée, leurs ailes chatouillaient l’épouvantail qui fut secoué de fous rires durant toute la matinée. Il ne demandait pas mieux que d’avoir de la compagnie. Enfin, de la vie autour de lui ! Enfin, de l’action, des gazouillis, des cris de joie ! Dans le fond de son cœur, il remercia secrètement la petite étoile.

La tempête fut grandiose. Émerveillé, Ernest vit la terre noire et dénudée se revêtir d’une épaisse couche de neige. Tout était redevenu propre. Jamais il n’avait rien vu d’aussi beau. Même sa chemise à carreaux et son chapeau se couvrirent de flocons blancs, Il n’eut pas assez de la journée pour tout admirer.

Les mésanges prirent ensuite l’habitude de se réfugier sous son chapeau. Elles se montraient fort gentilles et devinrent non seulement de fidèles locataires, mais aussi de précieuses amies. Elles tournoyaient continuellement autour d’Ernest, et cela le faisait rire.

Parfois, elles s’envolaient jusqu’à l’orée du bois et y passaient quelques heures. Mais la tombée du jour les ramenait sous son chapeau. Il les attendait toujours avec joie. On est si heureux quand on a quelqu’un à attendre…

Quelques jours plus tard, la neige se mit à tomber de plus belle au milieu de la nuit. Malgré les noirs nuages, Ernest avait remarqué qu’une étoile brillait pourtant dans le ciel, juste au-dessus de lui.

– Joyeux Noël, mon petit Ernest ! Ne me reconnais-tu pas ? C’est moi, l’Étoile de Noël.

– Bien sûr que je te reconnais ! Tu m’as comblé de joie en m’envoyant mes nouvelles amies les mésanges. Je ne te remercierai jamais assez !

– C’était ton cadeau de Noël.

– Noël, je ne connais pas vraiment cela. Les mésanges m’ont dit que Noël commence cette nuit.

– Noël, c’est la fête de l’espoir, mon cher Ernest. Il existe toujours en nous-mêmes une petite étoile pour nous porter secours, les soirs de tempête. On a trop tendance à l’oublier…

Vers minuit se produisit un grand branle-bas sous le chapeau d’Ernest.

– Hé ! les mésanges ! Que se passe-t-il là-dedans ? Vous ne dormez pas ?

– Joyeux Noël, Ernest ! Chante avec nous, on fait la fête !

La plus enjouée des mésanges vint déposer une feuille de gui dans la poche de la chemise d’Ernest qui en rougit de plaisir. Cette nuit-là, seule une étoile fut le témoin des chants joyeux qui montèrent du fond du jardin jusqu’au matin.

Au printemps, les mésanges quittèrent Ernest à regret en lui promettant de revenir sans faute, dans leur logis sous son chapeau, dès les premiers jours de novembre. La maison de madame Lavigueur fut vendue, au cours de l’été, à une famille avec de nombreux enfants. Leur chien Whisky devint le nouvel ami d’Ernest,

Actuellement, le petit épouvantail, vêtu de nouveaux habits, monte toujours la garde au-dessus des semis, devant la maison d’une nouvelle propriétaire. Il continue de sourire à tout venant, de son sourire en boutons. En bel épouvantail heureux, grâce à ses nouveaux propriétaires qui le laissent dehors durant l’hiver, il se promet de célébrer Noël, chaque année, en compagnie de son étoile préférée, de ses amies les mésanges et de Whisky.

Source : Contes de Noël pour les petits et les grands, de Micheline Duff, Éditions Québec Amérique 2012. 


356e jour de l’année

22 décembre 2021

Une année de plus sur le chemin de la vie pour…

Francis Riendeau

Bon anniversaire !


On jase là…

Une tornade annoncée dans nos environs, à Fort Myers, hier. De forts vents qui ont dispersé branches de palmiers et objets de toutes sortes, sur les rues et terrains du complexe. Sans prendre de chance, on a rétracté nos auvents pour ne pas risquer de les endommager. Tout est rentré dans l’ordre au milieu de l’après-midi. Pour ceux qui croient que les changements climatiques sont des inventions, les tornades en Floride sont loin d’être fréquentes en fin d’année. Pourtant, c’est ce qui se passe. Pas de dommages chez nous !


Pensée et citation du jour

On rencontre sa destinée souvent par les chemins qu’on prend pour l’éviter.

Jean de la Fontaine


Ça s’est passé un 22 décembre…

(1969) Le maire Jean Drapeau, avait instaurée cette pratique, surnommée « la loterie du maire », en mai 1968. Cette « taxe » permettait de participer à des tirages, et Montréal aurait recueilli ainsi plus de 17 millions de dollars en recettes brutes. Le gouvernement québécois approuvera en janvier 1970 la loi sur la création de Loto-Québec.

(1970) L’armée canadienne rentre dans ses casernes après le déploiement des forces armées aux principaux endroits stratégiques du Québec lors des événements d’octobre.

(1988) L’Assemblée nationale du Québec adopte la loi 178 concernant l’interdiction de l’anglais dans l’affichage commercial au Québec. Une autre loi charcutée par les tribunaux.


Merci de votre assiduité. – Passez une excellente journée !

Un commentaire sur “Le premier Noël d’Ernest

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